Avant de retranscrire la vie de famille américaine des années 2000 en partageant la vie d’un garçon pendant 13 ans, Linklater représentait le début des années 1990 à Austin, Texas, en suivant pendant 1H30 des gens qui s’y croisent. Des jeunes qui ne font pas grand chose et qui parlent beaucoup, des moins jeunes qui n’en font pas beaucoup plus et n’en parlent pas moins pour autant et des plus vieux qui en font encore moins et qui parlent d’autant plus. Des jeunes et des moins jeunes et des plus vieux qui ne font pas loin de rien et qui plantent les quelques rares choses qu’ils font.
Son début des années 1990 à Austin, Texas, Linklater le commence en dehors d’Austin, Texas, avec un jeune homme qui sort du bus et prend un taxi pour, je vous le donne en mille, Austin, Texas. Et dans son taxi, ce jeune homme parle au chauffeur, beaucoup, tout le temps, de rêve, de réalité et de la réalité des rêves, de nouvelles réalités qui commencent à chacune de nos décisions pour continuer là où ses décisions ne nous ont pas emmenées. Si l’on choisit de tourner à droite, une nouvelle réalité commence et continue en prenant à gauche. Une nouvelle réalité que l’on voit dans nos rêves, comme toutes les directions que nous n’avons pas prises à chacune de nos décisions.
Dans le taxi le chauffeur écoute, ne parle jamais, à travers les fenêtres le paysage défile, ne change vraiment jamais non plus. Le jeune homme arrive à Austin, Texas, croise une vielle femme qui se fait renverser à un passage piéton, nous restons avec la vieille femme renversée et quittons le jeune homme. Nous ne le reverrons a jamais.
Et on continue de flotter dans Austin, Texas, derrière des personnages qui se croisent, se rencontrent ou se parlent, comme cet homme qui va acheter son café dans un drive-in en peignoir, ce cambrioleur qui finit par aller se balader avec celui qu’il cambriole, cette femme qui vend deux poils pubiens de Madonna la tête profondément enfoncée dans sa casquette, cet homme qui vit dans une pièce remplie de télé avec un de ses écrans obsessionnel fixé dans le dos, ce jeune qui invite des filles à un concert parce qu’il est sur la liste d’invités sur laquelle il n’est finalement pas et chacun d’entre eux à sa théorie sur le passé, le présent et le futur, sur l’histoire, la politique et l’Amérique, sur la musique, l’amour et la vie. Et on flotte dans ses rues sales avec ses trottoirs traversés par de longues fissures qui filent comme des serpents se faufilant dans cette paisible jungle urbaine, ses déchets qui volletent doucement dans les caniveaux et ses larges rues désertes, dans ses petits bars miteux, avec ses clients un peu timbrés qui vous coupent au beau milieu de vos conversations laissant vos bouts de phrases planer dans les airs en attendant une fin qui ne viendra jamais, ses groupes de musique qui ne savent pas jouer de leurs instruments et ses barmans qui vous foutent dehors, dans ses vieilles maisons défraîchies, avec ses peintures qui s’écaillent, la lumière qui s’infiltre à travers le filtre de ses fenêtres poussiéreuses et ses personnes qui s’entassent dans de grandes pièces à moitié vide.
La manière de vivre et la culture et l’état d’esprit du début des années 1990 à Austin, Texas, défilent et s’affinent de scénettes en scénettes, de rencontres en rencontres, de bavardages en bavardages pour une succession de réalité un peu brinquebalante qui auraient bien pu durer quarante minutes ou alors deux heures trente et qui nous amènent un peu partout et à peu près nulle part à la fois, comme elles le font pour chacune de ces personnes que l’on suit. Jusqu’à ce que finalement on ressorte d’Austin, Texas, et symboliquement de cette réalité, de cette vie et de ce début des années 1990, que l’on grimpe dans une voiture et que l’on suive ces jeunes qui roulent vers la nature pour aller envoyer valser tout ça dans le fond d’une rivière, depuis le haut d’une falaise.