Avec Slalom, Charlène Favier signe un premier film percutant abordant le sujet délicat des violences sexuelles dans le milieu du sport. Une œuvre salutaire, nuancée et dans l’air du temps.


À l’heure où le mouvement #MeToo chamboule et bouleverse de nombreux secteurs de la société, le cinéma tente de plus en plus de s’en emparer. Le sport, lui, n’en est pas à ses premières révélations. On pense notamment à la patineuse artistique Sarah Abitbol, qui accusa l’un de ses anciens entraîneurs de l’avoir violée à 15 ans. Le cinéma est un reflet de la société et Charlène Favier entend bien briser la glace du silence. Slalom est un film qui s’inspire tragiquement d’une expérience personnelle douloureuse pour la réalisatrice, elle-même victime de violences sexuelles dans le milieu du sport, alors adolescente. Les premières lignes de scénario écrites sur les bancs de la FEMIS. Un désir d’extérioriser, à travers l’art, ce bouleversement tragique.


Ce film est irrigué par son histoire personnelle mais il s’éloigne du procédé autobiographique pour dériver vers de la pure fiction. Il se saisit du sujet avec beaucoup de verve, de nuance aussi, afin d’en dessiner les contours et les chamboulements. Slalom suit Lyz, 15 ans, qui vient d’intégrer une prestigieuse section ski-étude. Son entraîneur, Fred, ancien champion aux méthodes dures, décide de la prendre sous son aile. Ses parents, presque absents, Lyz va s’investir à corps perdu dans ce sport et glisse de victoire en victoire. Jusqu’au jour où Fred dérape.


FILMER L'EMPRISE


Filmer l’emprise, dans toutes ses composantes, c’est tout l’enjeu du premier long-métrage de Charlène Favier. Pour cela, la cinéaste a décidé de rester collée à son personnage principal, d’adopter constamment son point de vue, tout en apportant de la nuance aux autres protagonistes qui gravitent autour d’elle. Pour cela, le sport est un terrain propice à la matérialisation physique et psychologique des enjeux en questions. Le travail corporel, le dépassement de soi. L’exigence sans compromis, la pression aussi. Le long-métrage aborde de manière réaliste nombres de problématiques liées à l’exigence du sport professionnel chez les adolescentes. Notamment celle de la menstruation, trop souvent éludée dans les médias et les analyses sportives. Celle aussi du tiraillement entre le désir de vivre sa jeunesse et les compromis inhérents à la compétition de haut-niveau. Peu de choses sont laissés au hasard ici et ce terreau réaliste permet une identification et immersion plus forte.


Pour saisir l’ambivalence de l’emprise, Charlène Favier met en scène une triple domination qui s’exerce sur Lyz : celle de l’entraîneur, de l’adulte et de l’homme. Cette emprise totale est parfaitement incarnée dans toute sa nuance et sa justesse par un magnifique Jérémie Renier. Un personnage à plusieurs couleurs : doux, autoritaire, agressif.


Le film suit subtilement toutes les étapes qui amènent au point de rupture, à la bascule tragique. Des parents absents, un vide affectif comblé, une fascination. Puis, il y a cette bascule. Le faux-pas. Et la scène qui l’incarne est d’une puissance dévastatrice. Le cadre est fixe. C’est brutal. Le malaise se diffuse progressivement à la manière de la jeune Lyz, pétrifiée, la main collée contre la vitre du van. Cette influence malsaine qui va mettre en exergue toutes les contradictions émotionnelles, les conflits intérieurs et extérieurs. Tout est chamboulé. D’autant que l’on comprend rapidement, avec une très bonne caractérisation de son personnage, les questionnements liés à l’éveil des hormones, de la sexualité, de l’appréhension de son corps et de son désir. Un jeune corps à la fois objet de performance et objet de désir.


PROCHE DES SENTIMENTS


C’est alors que le titre prend tout son sens, toute sa nuance. Lyz slalome entre les obstacles, entre les bouleversements, entre ses ambivalences. C’est un caractère fort, chamboulé dans son intimité. Il fallait traduire cinématographiquement tous les aspects édictés précédemment. Là encore, Charlène Favier s’en sort avec les honneurs. L’atmosphère froide et pesante de la montagne colle très bien au drame intime qui se joue. Elle est toujours en arrière-plan, dominante et menaçante.


Evidemment, pour saisir tout ce que traverse le personnage, la cinéaste a fait le choix d’une mise en scène proche des corps, des visages. Un procédé classique pour ce genre de propos mais qui fonctionne très bien dans ce Slalom. Une mise en scène qui appuie également une dimension organique. Dans le rapport au corps notamment, le rapport à la chair, à la sexualité. La chair comme véracité des actions et des émotions. Le film n’a pas peur de montrer du sperme, du sang, des coups. Parce qu’ils sont nécessaires pour matérialiser l’impact et le choc qu’ils constituent dans la vie de la jeune fille.


Le travail remarquable sur le son est aussi à souligner. Les impacts palpables, la respiration, la frénésie de la vitesse et la sensation du danger : tout cela sert à créer à la fois un sentiment d’apesanteur et de menace. Slalom est aussi un film sur la résilience, le dépassement de soi. Il fallait pour cela miser sur un duo d’acteurs solides pour porter le film. Mission parfaitement remplie par Noée Abita et Jérémie Renier. La première, continue son ascension prometteuse après Ava et Genèse, dans un registre qu’on connaît d’elle : mystérieuse, caractérielle. Elle donne corps à son personnage avec beaucoup d’intensité. Jérémie Renier, continue de tracer une carrière exemplaire, toujours juste, souvent vrai.


Slalom est donc une première réussite pour Charlène Favier qui met en scène un propos fort, traité avec nuance et finesse et servi par une mise en scène précise. Une promesse de plus dans le cinéma français. On ne va pas s’en priver.


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JoRod
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le 13 oct. 2020

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