Slalom est d’abord un film d’acteurs : Noée Abita, Jérémie Renier forment un excellent duo, grâce à la délicatesse avec laquelle ils campent leurs personnages malgré la nature des rapports qui vont les animer. Le talent de Jérémie Renier, sorte de caméléon méconnaissable de film en film, n’est plus à prouver. Quant à celui de Noée Abita, il a été certain dès son premier film Ava, en 2017. Déjà, son rôle était engagé par le corps. Elle faisait éclore l’adolescente bientôt privée de la vue qui s’offrait un dernier été. La subtilité de son jeu réside dans ce qu’elle fait de son corps, comment il se déploie à l’écran. Et ses grands yeux qui disent tant la peur que l’étonnement, l’émerveillement aussi. C’est tout cela qui traverse Lyz dans Slalom. Le long métrage comme son titre semble d’abord l’indiquer, est un film de sport. On y suit Lyz qui intègre une section ski-étude et qui va peu à peu devenir une championne. De cela, Charlène Favier parle avec une grande vigueur, par le corps déjà. On y voit Lyz faire souffrir son corps littéralement pour mieux épouser le mouvement qui la fera gagner. Dans les descentes à ski qu’elle filme, entièrement collée aux basques et au souffle de son héroïne, c’est la fluidité et la libération qui dominent.
Les monstres n’existent pas… le système oui
Lyz est aussi une jeune fille qui observe un entraîneur très dur avec elle au début, cassant. On pense entrer dans un film de destruction par les mots, quand c’est par le corps qu’elle viendra. Pourtant, ça marche car l’entraîneur casse pour mieux emmener au sommet. Fred est un champion déchu, mais un entraîneur qui fait gagner ses champions. Fred est un mec normal, même si ça n’existe pas. En fait, ce sur quoi insiste Charlène Favier, c’est ce sur quoi Adèle Haenel insistait elle aussi, Fred n’a rien d’un monstre, il fait partie de la société, d’un système. Lyz veut aller chercher des médailles, elle est seule pour le faire. Peu à peu l’entraîneur qu’elle observait nu dans les vestiaires, comme un fantasme inaccessible, devient un père de substitution, et trop vite ça dérape. Les autres semblent ne rien voir de plus qu’une gamine amoureuse quand le spectateur voit une prisonnière. Lyz devient peu à peu un jouet entre les mains de Fred et celui-ci bascule tout doucement, il prend toute la place.
Tensions et destruction
Charlène Favier filme des corps en permanence tendus, en opposition avec la montagne qu’elle filme comme un mirage, un rêve à atteindre. La montagne nous hypnotise. Où que soient les personnages, leurs ombres presque expressionnistes se découpent sur la montagne. Quand les corps sont face à face, c’est le rouge qui domine dans la palette de couleurs de la réalisatrice. En revanche, la violence s’apaise quand la montagne apparaît, quand seul le rêve de Lyz envahit l’écran et c’est alors le bleu qui domine. La force de cette réalisation en apparence manichéenne est qu’elle ne s’arrête pas là, mais mêle sans arrêt les couleurs. Le corps de Lyz est filmé en permanence, elle est ultra présente à l’écran, tout est en train de se construire pour elle. Quant à Fred, il doit façonner ce corps, l’observer pour l’entraîner à gagner. Si cette cruauté première s’excuse par le rêve commun, une second cruauté, celle-là brutale, vient tout gâcher. Charlène Favier filme ainsi le viol de Lyz par Fred à deux reprises. Ce ne sont pas des scènes de viol violentes, mais elles n’en sont que plus ambiguës, destructrices et écœurantes. La première fois, Lyz et Fred sont dans une voiture, la deuxième dans un lieu d’entraînement. Les deux fois les choses arrivent comme un enchaînement, presque comme quelque chose d’inévitable. Ce qui ressort de ces scènes, c’est la sidération. Elle est presque présente des deux côtés, même si bien sûr, c’est du côté de Lyz que les choses éclatent réellement. Sa sidération la rend incapable d’agir, mais ce sera à elle pourtant de se reconstruire…
Non
Le travail sur les corps amené par Charlène Favier tout au long de son film, la tension qu’elle maintient, le travail sur le souffle, rendent ces scènes d’autant plus remarquables qu’elles sont des climax sans cri, sans maintien physique de la force. Tout se joue autrement, dans l’esprit des personnages, dans ce mécanisme de domination qui lentement s’infiltre dans tout le corps de Lyz. Elle n’est plus grand chose quand Fred l’assaille. Elle ne sait pas ce qu’elle doit faire, elle a peur. Cependant, elle se relève. Et c’est cela que voulait filmer Charlène Favier, comment la résilience survient. Sans besoin de grand discours, sans militantisme outrancier, juste en prenant le temps d’accompagner ses deux personnages. Et surtout en prenant le temps d’écouter Lyz. Slalom n’est pas un film bavard, c’est un film de silences, de respirations (les souffles ont été retravaillés en post-production), c’est un film de mise en scène pure. Le rapport intime à l’effort physique, devient un rapport intime à l’agression sexuelle qui pourtant résonne comme un soubresaut universel. Le « non » que prononcera Lyz est un non qui libère enfin non seulement la parole mais le corps de Lyz comme bloqué, entravé. Tout le travail du film, par touches qui en font l’équilibre, fait de cette histoire de violence, une histoire de cinéma où, comme chez Céline Sciamma où les coming-out se passent bien ou plutôt se passent de commentaire, les jeunes filles apprennent à dire non, sans que personne ne trouve rien à y redire !
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