"Sleep" est le premier long-métrage de Jason Yu, ex-disciple de Bong Joon-ho. Et il faut avouer que ce drame horrifique fonctionne merveilleusement bien. "Sleep" réussit le pari d'une proposition plutôt simple, intégrant néanmoins son lot de complexité. Côté synopsis, nous sommes plongés au cœur de la vie du couple formé par Soo-jin (Jung Yu-mi) et son époux Hyeon-soo (Lee Sun-kyun). L'homme est rapidement pris de crise de somnambulisme, laissant la peur intégrer le foyer au fur et à mesure des nuits. En effet, le comportant de l'homme va s'aggraver, laissant place à une angoisse permanente. Jason Yu joue avec les codes de l'horreur en prenant le soin de ne pas tomber dans la facilité. La subtilité des scènes est appréciable et nous laisse dans une attente interminable. L'angoisse n'est présente que la nuit, ce qui rends chaque couché cauchemardesque pour Soo-jin. Mais que cache ces crises de somnambulisme soudaine ? Possession fantomatique ? Pulsions meurtrières ? Vengeance ? L'énigme va s'éclaircir au fil des 3 chapitres. Et croyez-moi, vous n'êtes pas au bout de vos surprises.
La force de Sleep réside sur son aspect lent et pesant. Le montage des plans apporte une dimension intrusive. Aucune fioriture n'est a déplorer. Jason Yu possède des idées fructueuses, et une chose est certaine, c'est qu'il sait les appliquer. Au fur et à mesure des nuits, la souffrance psychologique de Soo-Jin va apparaître de plus en plus lancinante. Entre prescription médicamenteuse, chamanisme forcé, homicide involontaire et vices meurtriers, "Sleep" tient ses promesses en long, en large et en travers.
"Sleep" est découpé en 3 chapitre distincts. Ainsi, les dimensions esthétiques, psychologique et sonores varient d'un acte à l'autre. Cela simplifie grandement la lecture du film. Le premier fragment met l'accent sur l'amour entre Soo-jin et Hyeon-soo. Les couleurs dominantes sont assez chaudes et cosy. Le deuxième insiste sur les angoisses de Soo-jin par rapport aux dérives somnambuliques de son époux. La colorimétrie devient alors plus froide et les cadrages plus claustrophobiques. J'ai encore en tête la scène où Soo-Jin perd la tête chez le médecin avec des plans flous et agités, cumulés de sons stridents renforçant l'aspect psychotique. Cela m'a fortement rappelé le travail d'Aronofsky. La situation du couple devient de plus en plus instable, remplaçant la maison rassurante par une prison semi-ouverte. La troisième et dernière partie sert de dénouement. Tout est chaotique, à commencer par l'ambiance visuelle qui n'est pas sans rappeler le giallo, célèbre genre cinématographique italien. Le couple finira finalement par se séparer de l'entité néfaste, par une magnifique matérialisation de dépossession fantasmagorique.
Le premier coup d'essai de Jason Yu est une réussite totale. Il dresse ici le constat d'un couple idyllique faisant face à plusieurs obstacles. Il s'agit là d'une métaphore sur la résistance du couple en pleine tempête. Le spectateur baigne dans un effroi palpable tout au long du film. La durée du film (1h35) nous plonge dans une intensité forte malgré la lenteur globale. Cette ambiance accablante nous suit incessamment. "Sleep" parvient à créer un vrai mystère, sublimé par une mise en scène dantesque. On sent clairement une marge de progression chez Jason Yu, qui pourrait être plus impactant par moment. Néanmoins, je ne peux que vous conseiller ce drame familial sur fond d'épouvante.