Sleep
6.3
Sleep

Film de Jason Yu (2023)

Sleep est un film qu’il est facile d’aimer – vivace, dramatique, drôle aussi, avec de superbes décharges de terreur intense – mais également de sous-estimer, justement parce que, une fois n’est pas coutume, il est d’une évidence et d’une lisibilité maximale. Si l’on s’arrête néanmoins un peu pour réfléchir sur le travail de Jason Yu, on se rend compte que derrière une surface habilement lissée, et une forme que l’on pourrait qualifier de « nouvelle vague », voire de « ligne claire », s’ouvre un abîme de réflexion et donc d’interprétation qui n’est pas habituel dans le genre.

Sleep nous raconte donc d’un ton assez léger, même dans ses moments les plus dramatiques (et il y en a beaucoup…), le drame d’un couple qui attend un enfant et dont le mari souffre de graves troubles du sommeil : au cours de ses crises de somnambulisme, il a un comportement extrêmement dérangeant, qui devient de plus en plus violent. Le traitement médical prescrit ne fonctionnant pas, sa jeune épouse craint pour la vie de son bébé et se laisse convaincre par sa mère, croyante et superstitieuse, qu’il est en fait possédé…

Au delà de sa redouble efficacité dans le registre de la terreur, sans utiliser les trucs faciles du cinéma fantastique de bas niveau, mais en adoptant au contraire une approche extrêmement dépouillée, voire minimaliste (deux personnes, un chien, puis un bébé, dans un petit appartement, la nuit, et c’est tout), Sleep intrigue et séduit grâce à son « sous-texte » et son ambiguïté. Et si ce que nous raconte Sleep, ce n’était ni plus ni moins que les difficultés d’un couple qui peu à peu se délite sous la pression de la vie quotidienne, chacun devenant pour l’autre une sorte de « monstre » avec lequel il est impossible de partager son quotidien ? Et si ce que nous voyons et qui nous terrorise n’avait vraiment rien de surnaturel, mais n’était en effet que la conjugaison de ces troubles du sommeil dont souffre le mari et d’une bien réelle psychose puerpérale de la jeune mère, qui la fait basculer dans la folie ? Car, à l’image du comportement de plus en plus extrême de Jack Torrence dans le Shining de Kubrick (un film auquel certaines scènes de Sleep peuvent faire penser), il est réellement impossible de dire que la violence qui enfle peu à peu dans la vie de ce couple ait une origine « fantastique »…

La remarquable conclusion du film a d’ailleurs l’intelligence de laisser totalement ouverte son interprétation : entre possession réelle et jeu d’un acteur talentueux, comment pouvons-nous, simples spectateurs, décider de ce que nous avons vu, puisque tout dans le cinéma relève du leurre et de la croyance ?

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/02/26/sleep-de-jason-yu-un-couple-en-crise/

EricDebarnot
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le 26 févr. 2024

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Eric BBYoda

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