Small Talk (2016) - 日常對話 / 89 min.
Réalisatrice : Hui-chen HUANG - 黃惠偵
Mots-clefs : Taïwan - Documentaire - LGBT - Violences Familiales.
Le pitch :
La cinéaste Hui-chen Huang tente d'aborder la question homosexuelle avec sa mère, elle-même prêtresse taoïste, lesbienne et bourreau des cœurs. L'occasion aussi pour elle de revenir sur les douleurs du passé et la façon dont elles se sont enfuies d'un père violent.
Premières impressions :
Il y a des films qui marquent plus que d'autres et Small Talk est de ceux-là. Récompensé par la Berlinale en 2017 du prix du meilleur documentaire, Small Talk, par son caractère intimiste et universel, m'a simplement bouleversé. Il part pourtant d'une situation on ne peut plus banale, celle d'une fille qui veut se reconnecter avec sa mère parce qu'elles ne se sont jamais vraiment parlées. La réalisatrice le décrit d'ailleurs dès début du film : je vis avec ma mère sous le même toit depuis plus de trente ans mais c'est comme si je vivais avec une étrangère. La nourriture sur la table est la seule chose du quotidien que nous partageons.
La mère, en effet, est un sacré personnage. Cinquante-cinq/soixante ans, coupe courte, vêtements d'homme, clope au bec et bourreau des cœurs de ces dames. Oui, de ces dames car la mère est lesbienne et même si elle ne s'en cache pas, elle n'en parle pas non plus. Autour d'elle tout le monde le nie d’ailleurs, sauf ses anciennes conquêtes qui témoignent à l'écran. C’était comme ça Taïwan chez les anciennes générations, tout le monde sait, mais on n’en parle pas, ce serait perdre la face. Paradoxalement, la mère est aussi une sorte de prêtresse taoïste qui dirige des cérémonies de funéraire et y fait travailler ses filles et même ses petits-enfants. Ainsi, plutôt que d'aller à l'école, la réalisatrice a passé son enfance dans des cérémonies où elle se sentait méprisée par les clients. Travailler pour les morts n'a pas bonne presse.
Malheureusement si mère et fille se connaissent si peu, c'est que l'on comprend bien vite que pour une mère lesbienne, avoir eu des enfants a été un fardeau imposé. Il lui a fallu réaliser un mariage arrangé avec un homme selon les mœurs de l'époque dont elle eut deux filles, des dettes et de la violence. Alors ses deux filles, même si elle les aime, même si elle leur veut du bien, elles représentent aussi pour elle les stigmates d’une grande souffrance. On comprend aussi qu'il lui a fallu s'enfuir, sans rien que ses vêtements, les enfants sous les bras et la peur au ventre. On comprend aussi que si les filles n'étaient pas scolarisées c'était pour ne pas risquer que le mari ne les retrouve. De toute façon pour ça, il aurait fallu un livret de famille que seul un homme pouvait signer... Parce que c'est comme ça Taïwan. Même si le pays est un modèle en Asie, il reste engondé dans une culture confucianiste où l'on note le nom des fils sur les tombes des disparus, mais pas celles des filles. Alors, oui, Taïwan revient de loin, aujourd’hui les couples homosexuels peuvent s’y marier, une femme peut être présidente, et une transsexuelle être ministre.
Entre interviews poignantes et confessions, entre images d’archives familiales et nombreux déplacement à travers le pays, sans chichi, ni ennui, la réalisatrice Hui-chen HUANG m’aura fait autant rire que pleurer par son histoire personnelle. Un film à la fois simple et riche, terriblement humain, qui est à voir mardi 03 octobre 2023 au Forum des Images durant le cycle "Les femmes de Taïwan font des vagues". Certainement l’une des seules fois où il sera visible en France.