J’ai eu la sensation, devant Snake Eyes, de contempler un De Palma en dialogue avec lui-même, revisitant ses obsessions sous une lumière crue et implacable. Ce n’est pas seulement un film sur le voyeurisme ou la manipulation, mais un prolongement, presque une méditation sur ses précédents chefs-d’œuvre. À travers la caméra, il rejoue le regard désespéré de Blow Out et la fatalité mélancolique de L’Impasse, tout en poussant plus loin l’idée d’un univers sous contrôle, à la fois cosmique et claustrophobique.


Comme dans Blow Out, Snake Eyes fait de la technologie un révélateur, non pas de vérités, mais de leur absence. Là où l’enregistrement sonore de Blow Out exposait un meurtre politique, ici, l’omniprésence des caméras vidéo fragmente la réalité, la décompose en un puzzle sans résolution. L’œil n’est pas celui de Dieu, mais celui d’une humanité qui se perd dans ses propres reflets. Rick Santoro (Nicolas Cage) devient alors un double inversé de Jack Terry : un héros, non pas hanté par un idéal de justice, mais par sa propre compromission, englué dans un système qui le dépasse.


Snake Eyes prolonge également L’Impasse dans sa vision tragique du destin. Comme Carlito Brigante, Rick est un personnage condamné, qui croit encore pouvoir échapper à la spirale de la corruption, mais qui se retrouve broyé par les forces qu’il ne contrôle pas. Si Carlito mourait au seuil de la liberté, Rick, lui, est écrasé sous le poids d’une révélation inutile : même en exposant la vérité, le monde ne change pas. De Palma, fidèle à lui-même, révèle une humanité prisonnière de ses propres constructions.


Et pourtant, dans cet univers clos, De Palma trouve une ampleur presque cosmique. La salle de boxe, les couloirs labyrinthiques, les écrans qui s’enchaînent : tout devient une métaphore de l’existence humaine, où le contrôle absolu se heurte à une mécanique implacable. Comme dans Scarface ou Mission : Impossible, le décor n’est jamais neutre : il est un acteur, un piège. Atlantic City, avec ses lumières toujours plus brillantes, n’est qu’une illusion moderne, un phare de naufrageurs où les hommes s’échouent, encore et encore.


En un sens, Snake Eyes est un aboutissement : De Palma synthétise ses thèmes – le regard, la manipulation, la fatalité – tout en les confrontant à leur propre impuissance. Là où Blow Out laissait une lueur d’espoir dans le cri d’une actrice morte, Snake Eyes ne nous offre qu’une bague rouge, prisonnière du béton, ultime vestige d’un monde où la justice et l’innocence se noient dans les apparences.


Dans ce théâtre des illusions, De Palma ne cherche plus à résoudre, mais à contempler, à révéler un vide magnifique, où la caméra reste la seule souveraine. Un miroir brisé, projetant l’ombre d’un futur incertain.

Howlderlin
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le 10 janv. 2025

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Howlderlin

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