A la fin des années 70, le très prolifique scénariste de bande dessinées Jacques Lob commença à travailler sur un récit post-apocalyptique, après avoir écrit notamment des aventures de Jerry Spring pour Jijé et Superdupond avec Marcel Gotlib. Le dessin est confié à Alexis qui n’a le temps que de commencer, décédant malheureusement en 1977. Jean-Marc Rochette prend la suite et met alors en images les idées de Lob : un train roulant perpétuellement autour du monde, dans un futur où la Terre est recouverte par les glaces. Ce train, arche futuriste, est le dernier bastion de l’humanité. Les hommes y sont installés en fonction de leur classe sociale : les plus pauvres tout au fond et les plus riches et puissants en tête. Dans cet univers balisé, un homme seul décide un jour de remonter le train….
C’est cette histoire, d’abord parue dans « (A Suivre) » puis en albums chez Casterman que Bong Joon Ho a découvert dans une librairie de Séoul via une édition improbable, entre les mangas et comics qu’il avait l’habitude d’acheter régulièrement. Coup de cœur immédiat du réalisateur en pleine préparation de The Host.
Quelques années ont été ensuite nécessaires pour mettre en chantier l’adaptation.

Et on ne peut que remercier le libraire coréen d’avoir mis l’œuvre de Lob et Rochette dans ses rayons tant Le Transperceneige est une réussite. Et un des meilleurs films de l’année.

Bong Joon Ho explique en interview qu’il a voulu modifier l’histoire pour la faire sienne plutôt que de faire une transposition case par case et sans âme (coucou Zack Snyder). Son Transperceneige à lui reprend donc l’univers de Lob, Legrand et Rochette et de très nombreux éléments de la bande dessinée pour mieux raconter une histoire différente, une sorte de 4e tome qu’on aurait tout aussi bien pu découvrir sur papier. C’est d’autant plus intéressant que si l’histoire parue chez Casterman est d’une qualité indéniable, il était évident que cet univers si riche pouvait proposer d’autres choses, plus adaptées au grand écran.

L’arche mécanique version Bong Joon Ho est donc parfaitement la même que celle de la BD, si ce n’est que le film s’ouvre sur un groupe d’hommes bien décidés à traverser le train. Vivants dans des conditions d’extrême pauvreté, se nourrissant uniquement de gelée protéinique et s’entassant en queue dans un wagon sans fenêtre, ils sont bien décidés à mener une révolte. Où plutôt à conduire une révolution.

Le film se met donc assez rapidement en place, mettant en avant la lutte des classes dans un univers où les riches et puissants sont des tyrans et où les pauvres sont bien décidés à ne pas se laisse faire (l’auteur oubliant malheureusement au passage les « middle classes »). Mais ce combat pour leur survie, pour l’égalité n’est pas le seul thème abordé dans le Transperceneige. Il évoque à plusieurs niveaux la folie humaine, aussi bien au niveau mondial (la justification de la nouvelle ère glaciaire) qu’au niveau personnel (différents personnages, dont Ed Harris, impeccable). Certains verront également une évocation des rapports de la Corée du Sud avec son homologue du Nord, à travers des scènes de répression par des hommes masqués ou dans un passage montrant l’endoctrinement des plus jeunes (moment porté par Alison Pill, choix de casting incroyablement judicieux pour le personnage).
Snowpiercer est tellement foisonnant qu’on peut y voir également lors de la remontée des héros vers l’avant, progression qui n’est pas que physique mais bien aussi intérieure, la représentation des pêchés capitaux. Le dernier wagon est ainsi une version post-apocalyptique de Sodome et Gomorrhe.

Finalement, à l’instar de Lob dans la BD d’origine, Bong Joon Ho raconte ici rien de moins que l’histoire de l’humanité avec ses différences, ses luttes, ses victoires, ses souffrances… C’est aussi la force du film, c’est de multiplier les thèmes et enrichir l’histoire pour en fait revenir à ce qui faisait l’essence même de l’œuvre originale.

Techniquement, le réalisateur Bong, comme l’appellent les gens sur son plateau, fait des miracles. Décors soignés, minutie du détail. Tout donne l’impression que le film a été tourné dans un vrai train et pas dans un hangar de la banlieue de Prague. Sur chaque plan, le metteur en scène veille à rappeler que nous sommes dans un train, montrant parfois des mouvements de wagons ou se contentant de petits objets bougeant à ce qui serait le rythme d’un wagon.

Bong offre aussi à quelques uns de ses acteurs leur meilleur rôle, à commencer par Chris Evans, taillé pour le personnage qu’il incarne, et signe un des meilleurs films de 2013.
En reprenant les thèmes de la bande dessinée pour mieux se la réapproprier tout en en conservant le principe, en évoquant l’histoire de l’Homme au sein d’une Arche métallique, Bong Joon Ho ne fait pas seulement du Transperceneige un film indispensable, il en fait également une des meilleures adaptations de bande dessinée jamais réalisée dont beaucoup feraient bien de s’inspirer.
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le 5 sept. 2013

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