La science-fiction semble être redevenue, avec les récents Gravity et Cloud Atlas, le genre des impossibles. Cette volonté qu’ont les réalisateurs à pousser les frontières du réel plus loin encore et qui, au cours d’une mise en scène souvent magistrale, laisse le spectateur béa, conscient, sans le savoir, d’avoir peut-être vu la naissance d’une nouvelle facette de cinéma. Depuis longtemps portée sur les liens entre les hommes, la science-fiction se fait l’allégorie de notre époque et retranscrit, au travers d’une forme sous-jacente, les thèmes qui mènent notre société, les luttes entre les classes sociales ou le réchauffement climatique. Publié pourtant il y a trente ans de cela, le Transperceneige de Jean-Marc Rochette et Benjamin Lob retrouve une renaissance avec Bong Joon-Ho, ou le plus bel exploit de cinéma que l’on verra en 2013, l’impossible mariage entre le style ravagé d’un cinéaste de l’ombre et l’optimisme contrit d’un film au propos d’une noirceur incommensurable.
Dans un train devenu tombeau de l’Humanité, Bong Joon-Ho conjugue les caractéristiques d’un huis clos classique, les classes s’affrontant dans un combat sauvage pour leur unique survie et le rééquilibre des égalités entre les hommes, avec le gigantisme de sa mise en scène, mutique mais sauvage. Brillant faiseur d’images, Snowpiercer happe le spectateur dès lors qu’il se décide d’entreprendre ce voyage à travers les dérives de l’Humanité et les références que le cinéaste sud-coréen opère avec l’Histoire. En quatre films, avec un parcours semblable à celui du très talentueux Park Chan-Wook, le réalisateur sud-coréen avait prouvé son talent dramaturgique et sa maîtrise, à tout niveau, dans les genres majeurs du cinéma contemporain, du drame familial au film de monstres. Or, les ambitions à l’image de ce Snowpiercer, projet-monstre produit à l’international, témoignent du stade passé par le metteur en scène qui, tel la révolte menaçant les riches, réalise un film fulgurant d’intelligence, taillé dans le marbre. Blockbuster pour certains, le film ne se refuse pourtant aucune limite dans la violence montrée à l’écran et pousse l’ambiance crépusculaire, révolutionnaire, à des rares frontières jusqu’alors très peu exploitées par le cinéma cosmopolite, dont les fragilités venaient alors dans la confrontation de cultures opposés et que Snowpiercer affronte à bras le corps. Le film assume sa nature bâtarde, faisant d’un héros individuel une masse collective, et pousse les curseurs à ses maximales, tant en termes d’empreinte graphique que d’émotions et d’ambitions.
Il ne faut que peu de temps pour découvrir que Snowpiercer n’est pas simplement qu’un film immensément plaisant et sauvagement galvanisant mais il est cependant plus surprenant d’entrevoir le rapport si clos qu’il lie avec l’Histoire et les ravages que l’humain a provoqués par ses actions. Film-monde dans sa manière, habile et cohérente, de confronter les cultures pour mieux les entrelacer dans un vœu de rébellion, la véritable maestria de Bong Joon-Ho est de faire de son film une attraction dont la construction formellement linéaire finit par rappeler le passé et dévoiler le mystère qui le gardait alors pendant une grande partie du film. Snowpiercer est de ce fait un film qui s’agrée des règles vidéo-ludiques pour mettre un peu plus la modernité et l’intemporalité de son propos, s’affranchissant d’une pensée unique pour émettre un avis contrasté sur le héros, de la cause pour laquelle il se soulève et le pivot existentiel qu’il va finir par intégrer dans la vacuité jusqu’alors de sa vie.
De la beauté des décors à l’exceptionnelle direction d’acteurs, Snowpiercer et son réalisateur génèrent ici une puissance rarement atteinte par la science-fiction et provoque avec malice la déconcertation, le mélange des genres et des tonalités, créant l’humour dans le silence et les prestations de Song Kang-ho et Ko Ah-sung, la mélancolie dans son alliance avec la puissante composition musicale de Marco Beltrami – à l’opposé de son abominable travail sur World War Z – et la gravité dans les mots. Film, dont les intentions sont plus que politiques, témoigne surtout d’une parfaite compréhension de l’humain dès lors qu’il est face à sa survie. Bong Joon-Ho invite le cadre du théâtre dans les largeurs démesurées du cinéma, repousse les perspectives cinématographiques en termes d’ambitions et concilie le plaisir du spectateur avec des exigences artistiques peu communes dans le cinéma d’ampleur, une révolution à part entière. Bong Joon-Ho est grand.
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