Lorsqu’une dite « Youtubeuse » dont le travail nous inspire et nous touche sort en salle un film et, qui plus est, se déplace pour le présenter au public, on ne rate pas l’occasion. Ainsi ai-je pu profiter d’une des dernières places de la petite salle du CGR de Poitiers centre qui accueillait Ina Mihalache pour une projection a priori unique de son film Solange et les vivants (dont l’affiche fortement jaune fait un bel écho, dans ma petite tête en tout cas, à Little Miss Sunshine).
Evacuons tout de suite mon avis purement "technique" à propos du film. Il s'agit d'une oeuvre modeste, avec un petit budget, mais portée par une énorme énergie. Le film est à cette image : pas forcément formidable en tant qu'oeuvre cinématographique (mais on notera tout de même cette marque des différents "chapitres", dans laquelle on pourrait se perdre quelques minutes pour s'en imprégner, comme un préquel), mais très marquant dans son atmosphère.
« La vie peut être absolument épanouissante dans la solitude tant que le corps ne manifeste aucune résistance. » Telle est la base d’un scenario qui n’existe pas, dixit SolangeTeParle, une sorte de fil rouge, disons alors, pour être plus juste. Un fil qui va se tisser et produire un beau tissu, tantôt terne tantôt chatoyant, qui enveloppe le film et le spectateur avec lui : lorsque la séance prend fin, on se sent emmitouflé, rassuré. Et il n’y a pas à disserter longuement sur le contenu du film, sur ce qu’il montre, sur ce qu’il apporte. La force de cette œuvre est justement sa simplicité, et la force de vie qui s’en dégage. Solange vit de façon absolument épanouissante dans la solitude, jusqu’à ce que le corps manifeste une résistance, et pas des moindres. Dès lors, d’abord comme une étrangère, la présence d’Autrui lui est imposée. Et prend sans cesse de nouvelles formes, apportant de nouvelles expériences, entre l’hermétisme social d’une personne s’étant construite une Bulle singulière seule (« Je ne sais pas si les gens ne comprennent pas ce que je dis ou s’ils sont trop étrangers à ce que je suis ») et le constat inexorable de l’existence d’un monde autre (« M’ouvrir sur le monde ? Mais c’est bien le monde qui est ouvert et qui me tient dans sa gueule. », « Je ne suis pas fermée à l’idée de m’ouvrir. »). Et, peu à peu, en se confrontant à Autrui, Solange parvient à remodeler son monde, et à tirer profit de la résistance de son corps à la solitude. Celle-ci, auparavant parfaitement confortable, devient un ennemi, surtout lorsqu’elle se bat avec Autrui (« La solitude en présence d’Autrui est sans doute une des pires que je connaisse. »).
En somme, cette discussion incessante entre la solitude à laquelle nous sommes tous voués -nous sommes tous toujours seuls avec nous-mêmes- et la relation avec Autrui -elle aussi inexorable dès lors qu’on est, a fortiori dès lors qu’on est au monde- permet à Solange de se confronter aux Vivants, et peut-être de les rejoindre. Mais que sont-ils, ces Vivants ? A mon sens, il s’agit de ceux qui ont trouvé leur équilibre ; l’harmonie qui leur convient entre l’ouverture au monde, l’attachement à Autrui, et la clôture personnelle, leur espace de solitude. Les Vivants sont des balances en équilibre instable mais sain. Solange, parce que sa balance était déséquilibrée, est amené, tout au long du film, a rejoindre ses Vivants et à observer leurs équilibres, jusqu’à pouvoir trouver le sien.
C’est ce que je retiens de ce film. Un grand élan de positivité : être au monde, c’est avoir l’assurance que l’on parviendra à trouver un équilibre. « J’ai peur en général et de tout en particulier », nous dit Solange ; mais, en faisant de ces peurs une arme, en les affrontant et en se les appropriant, elle finit par trouver sa voie. Sans jamais perdre son univers, présent dans tout le film, par pointes (le réagencement incessant des meubles, la présence récurrente de la lampe de chevet,...) sans jamais perdre sa Bulle, sans jamais perdre sa liberté. Il n’y a pas à avoir peur, il y a à vivre avec ses peurs, seules actrices du dosage de la balance. Solange et les Vivants ont peur, mais ils vont bien. Ainsi soit-il.