L'esthétique de Solaris est un vrai délice, proche de l'avant-garde russe comme le constructivisme ou l'art de Malevitch (dualité représentée sur les deux affiches du film), jouant sur les formes géométriques et l'opposition de couleurs vives : une parka électrique sur l'herbe verte ondoyante, un maillot bleu sur les ordinateurs rouges de la station, les personnages tranchés sur les hublots noirs ou blancs.
Dès que la femme de Kelvin apparaît, tant le ton du film que les tons de l'image s'adoucissent, deviennent pastels ou camaïeux de bruns, les ombres sont bleutées ; le bois chaleureux apparaît et les décors s'enrichissent de pièces plus proches de la datcha russe si chère à Tarkovski que de la station spatiale futuriste. La facette science-fiction est totalement évacuée pour quelque chose de plus métaphysique — proche de Stalker — ce qui pourra ennuyer certains spectateurs réfractaires.
Si les interprétations et significations de Solaris sont infinies, du processus d'un deuil réussi à la quête du divin, demeure toutefois comme un dernier crochet au spectateur et aux personnages la contemplation de l'art dont des reliquats antiques et exotiques émaillent la station. La longue mais minutieuse observation du paysage d'hiver de Brueghel renvoie à la Terre, au prologue et à l'enfance enneigée de Kelvin mais pour Hari, amas neuf de neutrinos, c'est une nostalgie irréelle et cette in(tro)spection est pour elle un déclencheur fondamental, ce qui lui donne en quelque sorte vie et humanité. La contemplation de l'art est un leitmotiv majeur chez le cinéaste et l'on ne peut que penser à l'enfant feuilletant un ouvrage d'art sur la Renaissance dans le Miroir ou Ivan des gravures allemandes où là aussi l'art joue un rôle d'éveil. Les références à la littérature sont elles aussi nombreuses : Faust, Sisyphe, Don Quichotte et offrent tout autant de grilles de lecture du film et de rapports au Monde.
Bien que le film ait été finalement déconsidéré par Tarkovski, bien qu'il ait tenté d'épurer au maximum les éléments S-F et que cette histoire de station spatiale, de planète extra-solaire ne soit qu'un prétexte pour un propos plus large, Solaris est en grande partie le père de tout un pan des huis-clos horrifiques se déroulant dans l'espace ou dans une base, qu'il s'agisse de The Thing, Alien, Sunshine ou bien encore Sphere.