Au début des années 70, le western n'était plus ce qu'il était jadis, il a perdu son innocence et a fait place à une réécriture sans détours de l'Histoire américaine. Le carnage que montre Soldat bleu a été longtemps occulté, on n'est plus chez John Ford qui montrait une vision idéalisée de la cavalerie des Etats-Unis, car les massacres de tribus qui ont constitué le génocide indien et qui reste encore de nos jours la grande honte de l'Amérique, qui malgré les cérémonies de pardon, ne pourra jamais se défaire de cette image indélébile, ont été perpétrés surtout contre des femmes et des enfants, de la part d'une poignée de soldats parfois indisciplinés et commandés par des officiers fanatiques qui avaient décidé l'éradication pure et simple de l'homme rouge. Après le massacre de Sand Creek auquel le carnage fait allusion dans ce western, le général Nelson Miles reconnaissait l'horrible vérité en déclarant : Les tueries sanglantes de Sand Creek sont la plus grande honte de l'histoire militaire des Etats-Unis.
Sorti la même année que Little Big Man, le film de Ralph Nelson va plus loin dans la peinture de la cruauté, les images du massacre sont d'un insoutenable réalisme, l'atrocité est à son comble, le sang gicle, les actes barbares sont ignobles... on n'est certes plus dans un western de divertissement, on est dans la dénonciation et le pamphlet virulent. C'est un film qui a beaucoup fait pour la réhabilitation et la découverte horrifiée de la vérité par le grand public. Les Indiens étaient cruels et tuaient des fermiers ? les Blancs l'étaient encore plus, et le scalp, c'est eux qui l'ont inventé ; on apprend tout ça dans ce film.
Ralph Nelson a fait de sérieuses recherches car il ne suffisait pas de dénoncer l'absurdité et l'atrocité, il fallait s'appuyer sur des faits réels ; son film s'inspire des 2 massacres reconnus par l'armée américaine : ceux de Wounded Knee (où 200 Sioux furent abattus sans raison) et de Sand Creek (où des Cheyennes malgré le drapeau blanc furent exterminés). Ralph Nelson est aussi allé plus loin qu'aucun autre cinéaste avant lui dans sa dénonciation de la violence, du carnage gratuit, du sadisme et du côté bourrin et sauvage des tuniques bleues, chaque horreur décrite est prouvée par des documents ; on retrouvera ce genre d'attitude nauséabonde et condamnable dans des westerns plus récents comme Danse avec les loups.
Etrangement, le film s'ouvre par un début conventionnel, puis s'articule en 2 parties si l'on peut dire : c'est d'abord une longue errance des 2 personnages principaux incarnés par Candice Bergen et Peter Strauss pour rejoindre un fort de l'armée après une attaque indienne, puis le derniers tiers est occupé par le massacre proprement dit, d'où un contraste entre cette escapade bucolique et cette véritable boucherie. Strauss incarne le soldat idéaliste et un peu naïf qui réprouve cette violence sanglante, tandis que Bergen est une Blanche qui est restée captive pendant 2 ans chez les Cheyennes mais qui est lucide et a une vision réaliste des choses, c'est par elle qu'on apprend certains actes abominables commis par les soldats car elle les a vus.
Malgré le sujet d'une profonde gravité, ce western se suit sans ennui, il a longtemps été jugé incongru dans le courant du Nouvel Hollywood par sa juste dénonciation, ça n'empêche que c'est une totale réussite dans son propos, mais la violence étant devenu si banalisée de nos jours, que les excès du film ont sans doute perdu ce caractère audacieux qui l'avait fait interdire aux moins de 16 ans ; cependant, les images du massacre restent très dures et dérangeantes, ce sont probablement les images les plus abjectes de toute l'histoire du western, car le but du réalisateur n'est pas de choquer par complaisance, mais bien dans une volonté de mettre à mal le spectateur et de provoquer une amère réflexion. Je crois que même Peckinpah n'a pas fait mieux dans ce créneau, on en ressort lessivé et laminé par un profond dégoût de l'être humain, la démonstration est efficace, louable et nécessaire.

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le 10 nov. 2021

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Ugly

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