Soleil Vert est un film de science-fiction dystopique réalisé en 1973 par Richard Fleischer. C'est l'adaptation d'un roman de Harry Harrison paru sept ans plus tôt sous le titre Make Room! Make Room! dont le film ne reprend que l'univers, le scénario différant sensiblement de l'œuvre originale (1). L'action se déroule en 2022 (soit 23 ans plus tard que celle du livre, certainement pour mieux ancrer l'éloignement temporel), sur une Terre ruinée par l'Homme qui en a épuisé la quasi-totalité des ressources naturelles. L'immense majorité de la population vit dans la misère de l'insécurité alimentaire et ne parvient à se nourrir qu'au travers d'aliments de synthèse produits par une entreprise agroalimentaire appelée « Soylent ». Seuls les plus fortunés peuvent se payer le luxe de mets traditionnels de plus en plus rares, symboles d'une époque révolue. Robert Thorn, un détective interprété par Charlton Heston, enquête sur un étrange meurtre et va découvrir, au péril de sa vie, l'effroyable et morbide réalité qui se cache derrière cette société déshumanisée.
Intermède : diatribe personnelle.
Le nom de cette nourriture synthétique, « Soylent Green », directement lié à celui de l'entreprise et au cœur de l'intrigue, est en réalité la contraction des mots anglais « soy » (soja) et « lentil » (lentille), deux produits autrefois commercialisés par la firme. Certainement en manque d'imagination (ou tout simplement dépourvue de bon sens), la distribution française, au lieu de conserver le titre original du film en toute simplicité, n'a trouvé guère mieux que cet affligeant « soleil vert », dans la droite lignée de ces titres de films, innombrables, traduits avec les pieds. Il faudra un jour écrire un billet sur ce thème... En attendant, vous pouvez lire cet article du Huffington Post (http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2010/03/04/1970920_pourquoi-le-mot-enfer-dans-les-titres-francais-de-films-americains.html) recensant les perles du genre. Mais passons...
Soylent Green, donc, fait partie de ces films d'anticipation graves aux accents quasi-prophétiques ; sans crier au chef-d'œuvre, on peut le ranger (si tant est qu'on puisse, ô sacrilège !, ranger ses DVDs/Blu-rays avec ses livres) non loin d'œuvres comme 1984, Metropolis, Brazil, 2001, l'Odyssée de l'Espace, THX 1138, Blade Runner, Bienvenue à Gattaca, Orange Mécanique ou encore V for Vendetta dans un registre plus léger. Malgré quelques flagrantes bévues de montage (je pense notamment à la scène d'euthanasie où l'on peut voir un câble se balader de gauche à droite), le film parvient à tisser les mailles d'un univers absorbant dont on ne saurait sortir tout à fait indemne, sans quelques égratignures psychiques. On ne peut rester totalement insensible à cette violence morale et physique d'un monde où les forces de l'ordre seraient omniprésentes, au service exclusif des plus fortunés, veillant au grain et n'hésitant pas à disperser des foules affamées à l'aide de camions bennes ramassant et écrasant par dizaines ces résidus qu'on peine à qualifier d'humain. À la différence de 1984 ou de Brazil, la police n'est pas vraiment dans la pensée : elle est d'abord physique, solidement ancrée dans le quotidien, et omnipotente ; elle est l'expression même d'une répression radicale, au service d'un film dont la violence est froide, mécanique, et en ce sens, inégalée.
Côté distribution, Charlton Heston, mort en 2008, était décidément plus attractif au cinéma (en tant qu'acteur charismatique) qu'en politique (en tant qu'ancien président de la NRA, National Rifle Association). Loin de prendre la défense de la cause féminine, il profite ici d'un système où les femmes sont considérées comme du mobilier ; c'est d'ailleurs la dénomination expresse de certaines d'entre elles, comme Shirl, alias Leigh Taylor-Young, qui sont littéralement louées par la classe supérieure... Mais sa présence n'en demeure pas moins lumineuse et essentielle, tout comme celle de Sol Roth, un vieillard nostalgique de l'ancien temps dont il semble être l'unique vestige, lui et quelques autres rats de bibliothèques adeptes de vieux manuscrits poussiéreux. Il est incarné par Edward G. Robinson (Assurance sur la mort, Les Dix Commandements, Les Cheyennes), totalement sourd pendant le tournage et dont Soylent Green fut le dernier film (2). Ajoutez à cela la composition musicale subtile de Fred Myrow, jonglant entre les deux Sixième Symphonie de Beethoven et de Tchaïkovski (compositeur repris dans V for Vendetta), secouez le tout et vous obtiendrez un film prenant, modeste, mais sacrément efficace.
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(1) Et tant mieux, étant donné le flop du roman lors de sa sortie.
(2) Cruelle ironie, triste parallèle : alors qu'Edward G. Robinson interprète cette terrible scène d'euthanasie dans ce qui semble être un avant-goût d'une salle IMAX, il est déjà gravement malade. Il mourra peu de temps après la fin du tournage. Plus tard, Charlton Heston déclarera avoir réellement pleuré dans la scène où Thorn découvre qu'il ne peut plus arrêter le suicide de son ami (source : IMDB).
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