Dans une de ses nouvelles, comme toutes les autres hilarantes, Robert Sheckley développe la théorie du point fixe.
(ne me demandez pas le titre de la nouvelle ni ses détails, ma lecture de cette dernière remontant à une bonne trentaine d'année, la chose est au dessus de mes forces, même si le livre est toujours sur une de mes étagères, quelque part, camouflé parmi les autres ouvrages du même auteur)
Si je me souviens bien, le héros recherche désespérément sa bien-aimée et passe de galaxies en systèmes solaires à sa recherche. Arrivé sur une planète désertique uniquement peuplée d'un village à typologie mexicaine dans un univers de Western (une allée principale, quatre baraque et trois personnes faisant la sieste sous leurs chapeaux et 50° à l'ombre, d'ailleurs inexistante) il rencontre un féru de science qui développe alors sa théorie: pour trouver quelqu'un, il faut être immobile, puisque deux points en mouvement sont appelés statistiquement à ne jamais se rencontrer, surtout à l'échelle du cosmos.
Pour trouver sa dulcinée, le héros ne doit donc plus bouger. Ce dernier se dit que sans doute, pour donner corps à une telle théorie, il faut se fixer à un endroit un peu plus passant. Mais les faits scientifiques le contredisent dans les minutes qui suivent: il voit passer dans la rue son père, sa mère, un cousin et un vieux copain.
Je ne suis pas sûr que les scénaristes actuels d'Hollywood aient tous été biberonnés à la prose vivifiante de Sheckley. En tout cas consciemment. Pourtant, on pourrait légitimement se poser la question, parce que si on y regarde bien, à peu près tous les bollockbusters galactiques de ces dernières années appliquent l'esprit loufoque de la théorie du point fixe avec rigueur: on retrouve non seulement ses copines en un clin d’œil en parcourant l'univers, mais en plus presque à chaque fois au bras du méchant principal.
Sans être honteux ni infâme, Solo déroule pendant deux heures un double cahier des charges qui plombe toute envolée ou possibilité d'étonnement. Il faut utiliser toutes les ficelles du cinéma d'entertainment des années 2010 tout en comblant méthodiquement tous les trous de la légende d'un Han Solo, débarrassé de toute pointe de charisme: aucune part de mystère ne subsisterait si d'aventure nous prenait l'envie de rattacher cette tentative Disneyienne à l'ensemble de la saga, ce qu'un spectateur de mon grand âge a décidément bien du mal à faire. Si l'âge m'éloignait peu à peu de la magie d'un univers découvert dès 1977, la rupture définitive semble donc consommée depuis l'épisode 8, qui a agit sur mon organisme avec la virulence d'une greffe rejetée. Du coup, ce premier épisode non découvert en salle et bien longtemps après sa sortie DVD / Blu-Ray confirmera la crainte d'un film expurgé de toute magie, de tout émerveillement, et surtout, de toute surprise.
… Si ce ne sont les mauvaises, de contempler une héroïne affublée du combo coiffure à queue de cheval / boucles d'oreilles parfaitement 2018, et la réapparition d'un méchant totalement improbable dont rien de semble justifier la présence.
Un scénario décidément bien terne à l'image d'une photo triste et délavée à laquelle notre bon Ron Howard ne nous avait pas habitué. La présence d'une paire de Kasdan au scénario n'y peut donc rien, Hollywood ne permet plus, pour le moment, de sortie lumineuse de son système sommaire.