Grande famille, grande mère qui a beaucoup fait, beaucoup joué et partout, et de tous les morceaux, de toutes les grandes œuvres mais du malheur de sa fille et de son silence elle ne se souvient pas, comme de son visage, de son mari mort, de sa fille malade. De l'amour qu'elle n'a pas su voir, tout est oublié.
Assurément ce sont les visages de Bergman, tout proches, rouges, angoissés de tout dire, tout bien dire. Le huis clos se prête bien à l'exercice et une heure trente suffit pour tout montrer de cet amour manqué – l'amour qui ne fonctionne plus, ne pardonne pas, et la haine de soi, de la fille pour sa mère, de la mère pour elle-même, la solitude de celle-là incapable de sortir de la hantise de ses erreurs, de la peur de n'être finalement pas ce qu'elle a toujours cru être. La fille regarde sa mère avec amour, la mère se regarde elle, dans son échec, dans son drame.
C'est un film bavard, chacun parlant pour se raconter plutôt que pour raconter tout court. La mère parle d'elle, et beaucoup, la fille écoute. On est étonnés ; les scènes de musique sont comme des grands silences où alors l'amour se dit mieux. Pourtant il triomphera l'orgueil sur la sensibilité, malgré la volonté d'être meilleur, la justification plutôt que l'apaisement. Au fond personne n'a tort, mais tout le monde a mal.
Assurément la justesse de Bergman, les couleurs et ces rouges partout dans la maison mais d'abord sur le visage de ses deux actrices, à force de non-dits.
La scène au piano est inoubliable, les trois quarts anxieux de Liv Ullmann (Eva) penchée sur le prélude tranquille, qui ne manque aucune note mais de justesse seulement, sinueuse, sincère, soucieuse et, au contraire, le profil impassible de Charlotte qui s'applique à jouer « la douleur retenue » qu'a voulu, selon elle, transmettre Chopin, comme un présage.