Huis clos basé sur la relation d'une mère et de sa fille, ce qui se profilait comme étant des retrouvailles émouvantes se transforme lentement en règlement de compte, où le passé douloureux détermina chaque action, où les rancœurs et les plus profondes querelles bâtirent des murs infranchissables qui bridèrent les liens familiaux. Avec un film bavard et très éprouvant, Ingmar Bergman étouffe son spectateur de la même manière qu'il le fait avec ses protagonistes, lentement, d'une onde indolore dont on ne s'échappe jamais. Le diable est dans les détails.
Je voulais que tu me prennes dans tes bras. (dit la mère à sa fille)
Cette inversion des rôles, acheminée dans la deuxième partie du film, est saisissante car comme un rapport de force évident depuis le départ, on sent la fille prendre petit à petit le dessus sur la mère, amorphe contre les souvenirs tragiques voire malsains à son encontre. Cette solitude inhérente à la mise en scène se manifeste dans l'échelle de plan, lointaine pour abandonner les personnages à leur cause ou rapprochée sur un visage, un personnage à la fois, représentés comme des individualités et non comme des membres de la même famille. Le cadrage tue volontairement toute notion d'amour et d'attachement entre les personnages et brade la compassion contre un flot de reproches nébuleux. Plus la situation est pesante et plus la mise en scène détériore les liens, à en juger par la mère, au premier plan, dans une chagrin silencieux et sa fille, au second plan, qui déchaîne ses douleurs. Sonate d'automne est le résultat des non-dits, d'un silence trop encombrant, mortel. C'est une note finale sur une partition déchirée.
Le malheur de la fille est-il le triomphe de la mère ?
De ces échanges nourris de souffrance, il en ressort un film spectaculaire et brillant qu'il faut absolument juger dans son entièreté, un puits de ressentis incroyable sur la relation que peut entretenir un parent et son enfant. Le personnage de Héléna, paralysé par une maladie, est sûrement le plus intéressant car outre l'image qu'elle renvoie du passé et des erreurs de la mère, elle est le symbole des deux femmes qui s'écharpent et se flagellent, elle est l'abandonnée, l'amertume, l'agonie poussée à l'extrême. Et dans leurs discours menés par la peine, elle est, dans une scène en simultanée, cette rancœur qui rampe au sol, emprisonnée par les barreaux de l'escalier. Elle n'est pas désirée, elle est le manque d'amour qui ressort de ce film. La réalisation tient aussi son génie de la direction d'acteur, Liv Ullmann en tête, puis Ingrid Bergman bien sûr, qui ensemble règlent leurs conflits familiaux dans une virtuosité déconcertante, comme ça avait été le cas avec deux autres actrices dans Le Silence, toujours par Ingmar Bergman. Une direction d'acteurs qui paraît puiser dans la désinvolture toute son intensité ; et pour cause, c'est dans la retenue que les vérités éclatent et sont encore plus stimulantes pour le spectateur. Et ce piano, loin d'être anecdotique, qui traduit deux façons de concevoir le monde, la perception de la vie et le sens des choses. Le poids de la vie, aussi. Les feuilles tombent les unes après les autres, les douleurs glaciales du passé se ravivent, l'hiver approche.
Sonate d'automne est un film sur lequel on souffre, beaucoup, et c'est aussi ça le cinéma, un truc insaisissable qui prend aux tripes et te laisse pantois. Je vous le conseille de tout cœur.