Critique pour Le Bleu du Miroir


C’est sur les terres givrées de la Norvège que le Néerlandais Boudewijn Koole a puisé la matière, poudreuse et aussi volatile qu’un flocon, pour distiller sa Sonate pour Roos. Une mélodie magnifiée par un drame, dont la trame initiale trouve sa genèse dans l’expérience personnelle du réalisateur. Observant les relations tourmentées entre sa mère et ses deux sœurs, il en extrait une histoire profondément intime, épineuse, et pourtant commune. Une peinture des affects dont la prégnance se loge dans la nature, des étendues enneigées comme des êtres, et les sons, de l’environnement et de la chair. Le titre français trouve ainsi toute sa mesure avec Sonate pour Roos qui injecte davantage de poésie au film que la version anglaise, Disappearance, fait assez rare pour le souligner.


Il s’agit pourtant bien de disparition, au sens littéral et métaphorique du terme. Un double jeu entre la (non)présence des relations familiales et une fin annoncée, inéluctable. Un dessein que laisse rapidement percevoir Roos, incarnée avec beauté par Rifka Lodeizen, dans ses intentions et actes non traduits. L’aveu demeure le ressort dramatique de l’histoire créant une tension palpable à chaque échange. Et une fois celui-ci exposé, le trouble du secret laisse place à la peur, la colère et la douleur, mais avec une pudeur contenue, surtout chez la mère Louise, trahissant les blessures du passé. Des failles qu’elles tentent alors de refermer afin de trouver l’apaisement et la liberté, une mort physique pour une renaissance émotionnelle.


Par le prisme de cette tragédie de la vie, Boudewijn Koole explore, mais tente surtout de comprendre les rapports que les différents membres d’une famille peuvent entretenir. Car avant que le spectre mortuaire ne lève son voile sur les incompréhensions diverses, mère et fille demeurent campées dans leur position, incapable de communiquer, encore moins de faire acte d’amour. Dans la peau de Louise, Elsie de Brauw contient avec justesse toute la froideur d’une mère absente, éprise par sa passion pour le piano, tenant pour responsable sa fille de leur chaos affectif. Un rôle taillé dans un monolithe gelé aussi vrai que nature. Face à cette relation figé, Roos cherche à briser la glace mais sa propre incapacité à comprendre sa mère la retient dans sa rancune enfouie malgré ses espérances. Deux personnages animés par des passions artistiques, la musique pour Louise, la photographie pour Roos, au caractère solitaire, qui pourtant ne parlent pas le même langage. En guise de traducteur, le petit frère joué par Marcus Hanssen essaie de créer un pont entre les deux femmes. À l’inverse de sa mère qui maintient une distance proche de l’indifférence à l’égare de Roos, Bengt entretient avec sa grande sœur une complicité touchante, sous forme de complémentarité créative, ayant tout deux un regard contemporain sur le monde. Des différences entre le trio qui résonnent de manière intrinsèque à chacun et se trouvent dépeintes avec délicatesse dans la nature.


Requiem pour la vie
Sans doute l’un des éléments les plus séduisants : délivrer une beauté à l’état naturel, visuellement et musicalement. De son regard aiguisé de photographe, Roos fragmente le film par ses clichés où l’éclat de l’instant effleure l’écran, tandis que Bengt s’aventure dans l’univers des sons, une galaxie minérale en forme de précieuse mélopée métaphorique. Si le corps de Roos est envahi peu à peu par le trépas, les couches de glaces que Bengt enregistre délivrent un chant gracieux et pur, une exploration de la matière qui se révèle féerique en opposition avec le mal qui ronge sa sœur. Aux battements du cœur de cette dernière, il fait une analogie avec la flore, et finit par mixer les battements de toute la famille pour une symphonie harmonieuse, espoir d’une attente nouvelle. Par les sons, le réalisateur esquisse une nature puissante, dans lequel l’homme et l’environnement ne fait qu’un, pour une ode musicale splendide.


Sur ce terrain blanc, virginal, les stigmates des (non)dits vont peu à peu marqué la trajectoire narrative, à travers un script où la simplicité traduit toute la complexité des enjeux relationnels. L’écriture, portée par une authenticité émotionnelle, est à la fois légère et abrupte offrant des dialogues intenses malgré la concision des phrases. Des paroles de vérité, dépouillées d’un enrobage lyrique, qui touchent au sensible. De nombreux éléments sont laissés sous le manteau de blanc de la neige ; les raisons de la querelle initiale, la maladie de Roos, enfouies à jamais dans le givre. Mais ces mots tus n’ont finalement que peu d’importance, seule la réconciliation compte, la libération des rancœurs pour que la disparition puisse vibrer d’une douce symphonie, dont la partition viendra de Louise, avec une note finale ouverte où chacun pourra composer sa propre version.


Sonate pour Roos est une carte blanche à l’amour filiale, enveloppée d’une sonorité minéralisée apaisante et d’une imagerie au glacis naturel. Un film tendre et dur, où la mort paradoxalement devient l’antidote qui pansera les tensions familiales.

CCorubolo
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le 22 déc. 2017

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