Après les décevants À la merveille et Knight of Cups, Terrence Malick retrouve sa maestria d'antan avec Song to Song, conclusion inespérément brillante d'une trilogie aussi expérimentale que controversée sur l'errance amoureuse à notre époque.


Toujours en quête de modernité, Terrence Malick s'est éloigné de tous les codes du cinéma américain et son avant-garde croissante en a décontenancé plus d'un, notamment chez certains fans de la première heure, nostalgiques de La Ballade sauvage et des Moissons du Ciel, pour qui le tournant radicalement abstrait et sensoriel de The Tree of Life ne passe pas. Palme d'or contestée, mais chef-d’œuvre absolu pour les fans de la seconde heure, ce film lança le cinéaste dans une cadence de production ahurissante, avec plusieurs long-métrages tournés consécutivement, parfois en même temps. Période durant laquelle il n'a cessé d'abandonner l'idée de narration conventionnelle, afin d'expérimenter, avec l'aide du chef op Emmanuel Lubezki, un geste de mise en scène inédit et dont eux seuls ont le secret : un système formel exclusivement en grands-angles et travellings vertigineux, laissant la part belle à l'exaltation des sens, à une danse de la caméra qui oscille mystérieusement entre l'ultra-réalisme et la sur-esthétisation.


Après deux tentatives excessivement minimalistes dans leur scénario (les creux À la merveille et Knight of Cups), il aura fallu attendre 2017 pour que cette forme lyrique se raccroche à quelque chose de plus tangible : l'apparition de la vie sur terre avec Voyage of Time et, on y vient enfin, les amours de trois artistes torturés dans Song to Song.


Capter l'amour. Indéniablement, voilà un exercice dans lequel Malick excelle depuis ses débuts. Et lorsque ce dernier atteint une telle puissance d'incarnation par le biais de personnages aussi étoffés (querelles familiales, tourments liés à leur musique et autres introspections en voix off), servis au passage par un casting des plus classieux (Rooney Mara, Ryan Gosling, Michael Fassbender, Cate Blanchet, Bérénice Marlohe, plus photogéniques que jamais), il n'est pas difficile en ce qui me concerne de me laisser porter par ce flot d'émotions, par ces rencontres, ces êtres qui se cherchent, se caressent, se séparent, puis se retrouvent.


Outre le visuel aérien et cette thématique très poétique, Song to Song offre également une vision quasi-documentaire des coulisses de la scène rock d'Austin, avec des plans tournés sur le vif en plein festival, laissant apparaître les vrais Iggy Pop, Florence Welch, Anthony Kiedis ou encore Patti Smith, dont les chansons et les monologues emprunts d'humanisme gouvernent la narration follement déstructurée du film (big-up aux trois monteurs qui ont donné un rythme tout à fait singulier à cette histoire). Quelques longueurs, somnolences et redites sont à déplorer, mais de cet ensemble assez foutraque ressort une œuvre à la fois d'une grande modernité cinématographique et d'une douceur revigorante.


http://amaurycine.blogspot.com/2017/07/song-to-song.html

Amaury-F
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le 16 juil. 2017

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