J'avais trouvé son dernier film, I, Daniel Blake, un peu trop technique, administratif. C'est moins le cas là, ce que je trouve appréciable. J'ai moins l'impression que Loach cherche à nous démontrer mathématiquement pourquoi c'est nul et triste et horrible.
Je pense que ce film met bien en évidence les défauts destructeurs de "l'uberisation".
A savoir un espèce de retour à l'avant droit du travail.
Tous les risques pèsent sur le "salarié entrepreneur", qui est cependant prisonnier d'une situation trop précaire, dépendant qu'il est du salaire qu'il reçoit, ce qui l'empêche de revendiquer quoique ce soit pour améliorer sa situation.
Comme tout le monde ? Pas exactement, toutes les possibilités de révoltes sont ici bouclées, non seulement par la précarité mais aussi par le statut spécifique de ces travailleurs. Auto-entrepreneurs, le capital et les investissement sont leurs, les risques aussi. Mais pas la liberté ni les garanties. Ils restent, de plus, dépendants de l'entreprise qui utilisent leurs services, pour ce qui est de leurs revenus.
Rester est intenable mais partir laisse de trop grosses dettes et aucun revenu.
Et c'est sans compter les exigences irréalistes de ces entreprises dont les objectifs sont établis hors de toute réalité physique. Ne parlons pas bien être.
Tout cela me fait penser au roman de Steinbeck Les raisins de la colère. Le même genre de mécanismes me semblent être en place. Des travailleurs exploités, mais bloqués car trop dépendants de leur maigre salaire pour leur survie et celle de leur famille. Maigre salaire qui peut facilement être amputé par des pénalités ou des frais liés au travail lui même.
Au final ce nouveau (?) type d'emploi concentre tous les désavantages et risques de l'auto-entrepreneuriat mais sans ses avantages, et avec le pire du salariat. Le tout pour un retour cent ans en arrière aux USA. On a vu mieux.
Dans une moindre mesure le film parle aussi du soin à la personne et des problèmes du système d'aide à domicile au Royaume Unis (mais bon c'est à priori assez proche de ce qu'il se passe en France). Des gens se retrouvent à devoir gérer seuls des situations compliquées et désagréables, le tout avec un chronomètre comme menace constante, des horaires horribles et des salaires pas super.
Dans tout ça, on a des familles dont les parents vivent des situations précaires, épuisantes et douloureuses, et avec des enfants qui souffrent et se sentent abandonnés par leurs parents. Ce manque de cadre peut amener à désinvestir l'école et à entrer plus ou moins dans la délinquance. Ce qui, on peut le supposer, mène à exercer ensuite le même type d'emploi que les parents.
Et ce malgré les efforts constants et l'amour des parents, qui ne peuvent faire autrement dans ce système qui les écartèle.
Voilà ce que le film dit, à mon avis.
Et ça me semble important.