Le dernier Ken Loach n’est pas un grand film du point de vue esthétique, la photographie et la mise en scène sont assez plates, il n'y a pas de suspens à couper le souffle, ni de grandes scènes spectaculaires, pas de scènes d'amour bouleversantes, ni même de gags désopilants, mais néanmoins j’en suis sorti secoué, avec l’impression d’avoir pris un grand coup de poing dans l’estomac.
Comme à son habitude, le réalisateur anglais nous sort un grand film social dénonçant les dérives du capitalisme. Et ça fait mal. Certains critiques se lassent de cette constance dans la dénonciation des travers de nos sociétés ultralibérales et préfèreraient ne pas voir cette misère indécente exposée devant leurs yeux.
Il est d’ailleurs amusant de constater que Loach est un véritable taulier du festival de Cannes, qui est pourtant par ailleurs le plus fastueux du monde et le plus associé au strass, aux paillettes et au glamour.
Sorry we missed you commence par une scène d’entretien d’embauche, où l’employeur explique au futur employé chauffeur livreur d’une plateforme de vente en ligne, qu’il ne sera pas salarié mais " partenaire franchisé " ce qui paraît moderne et cool à l’homme bosseur et prêt à prendre des initiatives individuelles pourvu qu’il gagne plus en travaillant plus. Mais hélas, ce partenariat s’avèrera vicié dans la mesure où ce type de contrat implique beaucoup de devoirs à l’employé contre très peu de droits en retour.
Tout est conçu pour optimiser les rendements de l’entreprise, grâce à l’informatisation de l’organisation du travail et les travailleurs sont obligés de devenir des robots pour suivre les cadences. Il n’est pas prévu de temps de pauses pour récupérer et tout accident professionnel ou familial sera de la responsabilité de l’employé qui devra en payer les conséquences (non non, ce n’est pas de la science fiction, ça existe actuellement en Grande Bretagne et dans le monde civilisé, on appelle ça l’uberisation du travail).
Or Ricky est père de famille avec une femme aide soignante à domicile qui travaille énormément, deux jeunes enfants scolarisés, ayant besoin d’attention et forcément les imprévus peuvent arriver, car la vie quotidienne n’est pas l’application d’un algorithme.
Le scénario de Ken Loach et Paul Laverty n’est pas sans défauts. Le début, où l’on suit la journée de travail type du père et de la mère est assez laborieux (si je puis dire) et ne m’a guère enthousiasmé, mais ensuite j’ai vraiment été pris par l’émotion. Notamment quand le fils ainé commence à partir en vrille et que l’équilibre familial vacille.
Lors d’une scène où un policier lui explique devant son père qu’il a intérêt à assurer sous peine de gâcher sa vie et de nuire à l’honneur de sa famille, l’émotion est déjà forte. Mais dans celle où le père dit à son fils qu’il a intérêt à travailler au lycée pour avoir le choix de son avenir sous peine de devenir un laquais et que son fils lui répond "c’est-à-dire devenir comme toi ? " ça devient poignant.
On comprend que le père a perdu son autorité sur son fils et que celui-ci ne croit plus que l’école lui permettra d’avoir un avenir meilleur que celui de son père.
Et c’est bien cela que nous décrit Ken Loach : ce système économique n’est pas humain.
Les victimes perdent leurs droits, leur sociabilité, leurs liens familiaux et leur santé et tout ça pour le profit d’une minorité. Elle est pas belle la vie ?
En plus d’une direction d’acteurs remarquable, ce qui fait la force du film c’est que derrière le discours militant vilipendant le libéralisme, on y voit concrètement les dégâts qu’il provoque. Le parcours de cette famille est chargé, mais crédible. C’est bien pour ça qu’il est émouvant. On peut rejeter cette émotion, mais on peut aussi, et ce fut mon cas, être touché.
Merci d’exister Mr Loach.
7,5