Un grand voyage vers l’inconnu : c’est ce dans quoi s’embarque le spectateur de « Sortilège ». Il s’agit d’un film à l’intrigue insaisissable, qui se défile en permanence. Une errance, qui ne se préoccupe pas de construire un sens mais de le déplacer, sans cesse. Signe le plus manifeste de sa singularité, « Sortilège » est un film muet : s’il y a bien du son (et même une superbe bande son d’Oiseaux-Tempête), les personnages principaux ne parlent jamais. Le seul fil narratif solide du film est celui de la fuite de son personnage principal, qui quitte d’abord l’armée, puis la société, la civilisation, et enfin l’humanité (?). Cette fuite ressemble d’ailleurs à celle du sens de cette œuvre, qui se dérobe séquence après séquence à la compréhension du spectateur.
Privé de repère narratif élémentaire, « Sortilège » pourrait plonger ses spectateurs dans un ennui mortel. Mais il est d’une telle beauté visuelle que cette errance réussit à se suffire à elle-même. Ala Eddine Slim a un grand talent de composition de ses plans (tous sont ouvragés à l’extrême) et déborde d’idées de mise en scène. La meilleure démonstration de cette inventivité visuelle est la manière dont il réussit à introduire des dialogues dans son film – qui est pourtant muet ! La découverte de ce procédé justifie à elle seule l’existence et l’expérience de visionnage de ce film.
« Sortilège » s’affirme avec audace comme un ovni (et s’en revendique même), un « 2001 : l’odyssée de l’espace » tunisien. Une telle confiance dans la puissance visuelle du cinéma est rare et précieuse.