Cette critique subjective découle d'un mélange de passions : Quand j'étais enfant, j'ai vécu un an dans les Caraïbes, et j'ai failli me noyer à plusieurs reprises. Depuis je suis sujet à une peur bleue des grandes étendues d'eau, ce que l'on pourrait potentiellement qualifier de thalassophobie. Cependant, en tant que spectateur, j'éprouve une certaine fascination pour la mer, pour l'océan, pour la plage. Par exemple, en cinéma avec des films comme A Scene At The Sea de Takeshi Kitano, ou Les Vacances de M. Hulot de Jacques Tati;
ou en musique comme en témoigne mon amour pour les Beach Boys, On The Beach de Neil Young; Nobue's Sea. de la regrettée Nobue Kawana ou encore Soundscape 1 Surround d'Hiroshi Yoshimura. Mais voilà, parmi ces albums aquatiques qui ont su toucher mon âme en plein cœur, il y a une pierre angulaire qui est l'une des fondations même de cet ensorcellement marin : Blue Hawaii de Elvis Presley qui est la bande originale de ce film. J'avais donc une certaine attente à la vision de celui-ci. Ce que j'attendais, ce n'était pas une certaine qualité cinématographique mais une ambiance aux odeurs d'embruns et à la chaleur solaire.
Sous le ciel bleu de Hawaï est réalisé par Norman Taurog et narre l'histoire de Chad, un jeune militaire hawaïen revenu fraîchement du continent américain où il a fait l'armée pendant deux ans. Sa compagne, Maile Duval, l'attendait à l'aéroport, et ensemble ils vont pouvoir profiter à nouveau du paradis insulaire.
Le scénario est à l'image du reste du film et témoigne d'une impertinence et d'une désinvolture sympathique. Ici, à Hawaii, rien ne semble avoir d'importance, pas même l'histoire que l'on raconte, pas même la mise en scène qui est à la fois basique et bâclée, pas même le montage qui se permet lui aussi d'être à la fois simple et raté. Tout cela crée un sentiment curieux, une véritable ambiance paisible proche d'un joint fumé sur les bords du lac de Bouzey durant l'été 2018.
Il n'y a aucune implication réelle dans le film, et tout devient prétexte à un gag. La séquence d'introduction décrit très bien cela : on suit Maile Duval en voiture roulant au delà de la limitation de vitesse, et une moto de Police l'arrête. On comprend rapidement que le policier la connait, qu'elle n'est pas à son premier excès de vitesse, et qu'il s'apprête à lui mettre une amende, mais lorsqu'elle lui explique qu'elle va chercher Chad à l'aéroport, le policier décide de l'escorter afin qu'elle puisse arriver à l'heure. Quelques plans plus tard, l'avion atterri et Elvis en sort tandis qu'il embrasse une hôtesse de l'air dans le but de charrier Maile. Bien entendu, celle-ci se vexe mais fini par dire que son sang hawaïen lui permet de prendre ça à la légère et embrasse Elvis à son tour.
De la même manière, tout est sujet à une scène de chanson où la Bande Originale sublime est mise en image avec des playbacks médiocres mais à l'ambiance charmante. Par exemple, Chad et Maile, qui viennent de se retrouver, nagent dans la mer et s'amusent dans l'eau lorsqu'une embarcation avec quatre ou cinq hommes arrivent à leur niveau. Ils se mettent à jouer de la guitare et des percussions sans raison, et Elvis laisse finalement Maile seule dans l'eau pour chanter avec ses amis. Le playback est décalé de quelques images, la situation est décalée tout court. Elvis, les mains mouillées, joue de la guitare sèche.
Un autre exemple de l'absurdité joyeuse des séquences de chansons pourrait-être lorsqu'Elvis se fait enfermer après une bagarre dans un bar. Il est en cellule, et se met à chanter. La musique se lance, et la caméra effectue un mouvement qui permet de voir son groupe d'amis musiciens enfermé avec lui, avec leurs instruments. Dans une autre cellule, un vieux bandit pleure en les accompagnant à l'harmonica.
Tout cela permet vraiment de sentir l'ambiance exotique de l'île et l'idée de paradis qu'a voulu lui donner Norman Taurog. La mer bleue et le ciel cyan dégoulinent sur les plages et les champs d'Hawaï, et Elvis s'y ballade en offrant pléthore de situations gentillettes s'enchaînant sans difficulté et sans réel conflit. Rien n'a d'impact réellement négatif et tout fini toujours par s'arranger.
Le Technicolor vomit des couleurs trop saturées et donne une certaine image que l'Amérique avait d'elle-même dans les années 60 : Elvis, la grande star de la jeunesse qui cherche à s'émanciper de ses parents bourgeois, de leur mariage raté et de leur racisme banalisé envers les natifs d'Hawaï ou leur majordome asiatique qu'ils appellent Ping-Pong. Bref, un monde désormais lointain avec ses parts de vice mais où rien ne semblait être dramatique pour ses habitants.