C’est un début de film in media res. La caméra est collée à la nuque du jeune homme. Il file à travers la ville éteinte, déchirant la nuit de son scooter. Il est tête nue, incapable d’accidents, insuffisamment mortel. L’image tremble, s’accroche malgré la force centrifuge, on devine la confiance de la cinéaste s’amoindrir. « Tiens-toi hein ! ». Une dernière accélération, la caméra vacille, on quitte la nuque et Laure Portier pousse un cri. Métaphore d’une existence vécue à bride abattue, sans horizon bien dessiné mais avec la certitude d’y aller, ainsi Soy Libre décide-t-il de nous faire rencontrer Arnaud, avant de nous partager seize de ses années de vie.
C’est un premier long métrage fin et minutieux qui nous dévoile l’acuité d’un regard, un sens du rythme et une lucidité quant à la nécessité de laisser le film se trouver en se faisant. Succède à cet incipit envolé une archive datée de 2005. Arnaud y est prié de s’introduire et commence à déballer tout un tas de généralités politico-sociales – ce qui ne lui ressemble apparemment pas car sitôt interrompu par Laure Portier : « tu parles à moi Naunau, pas à la caméra ». Et c’est dans ce Naunau que fleurit le lien si fort qui unit le filmé et la filmeuse. La relation frère-sœur y est semée simultanément à l’impératif de sincérité et de naturel. Le récit se cache là-dedans, d’autant plus beau quand cela s’effrite un peu. Ils se connaissent par cœur.
Arnaud y occupe deux pôles contradictoires, c’est un caïd au code moral impeccable pris dans un dualisme conflictuel, fantasmant une vie idéale mais rongé par son amour pour les petites infractions. Un écorché, sensible et attachant. Le film ramasse donc seize années de sa vie, s’arrête pendant son séjour en prison mais résiste à son envol pour l’Espagne, puis le Pérou. Il y fait ses images à lui, intégrées en matière brute au montage final. Sans nécessité de retouches. C’est un gros plan silencieux, un souci de raccord, une appréciation d’un temps de cinéma ; de tout ça il est conscient et tout ça l’érige en véritable co-auteur. C’est inné et c’est son manuel de survie dans la rue.
À noter que ce dialogue frère-sœur et la porosité des rôles qu’ils se prêtent court tout le long du film. Si la caméra est pour Laure Portier un pinceau brossant le portrait de son frère, elle est pour Arnaud la paire d’yeux qui nourrit sa solitude et c’est lui qui nous livre en peinture des scènes de sa vie, sur lesquelles viendront se greffer des paysages sonores. Soy Libre se fait ainsi film social et film héroïque. Film qui arrive au bout d’une représentation de soi-même. Avec la promesse d’une effroyable douceur d’appartenir.
Site d'origine : Ciné-vrai