On a découvert le cinéma de Rafi Pitts il y a 5 ans avec The Hunter, son quatrième long métrage mais le premier, à ma connaissance, distribué en France. Depuis Rafi Pitts a quitté l'Iran et ne raconte pas par hasard l'histoire de Nero, jeune mexicain grandi aux Etats-Unis sans posséder la nationalité américaine et finalement expulsé. Le film s'ouvre sur ses tentatives de repasser la frontière afin de rejoindre son frère à Los Angeles. On retouve les qualités du cinéaste déjà aperçues dans son film précédent, la capacité de traiter un sujet de manière totalement non théorique, un sens du cadre et de l'espace remarquable, un travail au montage qui impose des accélérations de rythme et des ralentissements étonnants (que j'ai trouvé parfois excessifs) et une pointe d'humour, souvent ironique.
Soy Nero va chercher cette ironie en juxtaposant la dynamique du road movie aux accents kafkaiens et l'inertie du surplace buzzatien.
Le spectateur accompagne la quête de Nero en comptabilisant les mirages auxquels il se confronte. Le coeur du film bat autour de cette réflexion sur le faux-semblant. Faux pistolet ou vrai pistolet dans la boite à gants de l'homme qui le prend en stop ? Affabulation complotiste ou révélation scientifique, ce discours que tient ce même homme (formidable Michael Harney) ? Lorsque Nero retrouve son frère, touche t-il du doigt le fameux rêve américain ou devient-il acteur passif d'une misérable farce ?
Prêt à tout, Nero va s'engager dans l'armée et rejoindre la cohorte des green card soldiers à qui la nationalité est promise en même temps que l'uniforme GI. Il rejoint une petite unité chargée de contrôler un check-point en plein désert. Nero est cette fois de l'autre côté de la barrière, arme au poing, légitimité en bandoulière. Les images dilatées de ce no man's land écrasé de chaleur nous invitent encore une fois à la prudence, Nero se fait appeler Jesus pour coller à l'identité d'une (fausse) carte, léguée par son frère. Dans cette dernière partie, Rafi Pitts reprend quelques motifs de The Hunter. Les désaccords entre les deux policiers se retrouvent ici entre deux soldats avec des issues aussi tragiques. Enfin le motif de l'uniforme, ni celui de policier, dérobé, ni celui de soldat, choisi, ne protège d'une destinée funeste. Dans un très beau plan final, Nero/Jesus, marche seul vers un avenir inconnu. Notre cerveau, exercé tout le long du film à mettre en doute ce que l'oeil a vu, nous pousse à penser qu'il sait parfaitement où ses pas le conduisent.
On sort de la salle convaincu de garder longtemps en mémoire les images d'une partie de volley, d'un feu d'artifice. On gardera aussi le sentiment d'un certain déséquilibre rythmique qui empêche l'enthousiasme total.