On connait le tempérament explosif et le tweet corrosif de Mathieu Kassovitz, on sait qu’il pratique la boxe depuis quelques temps, et on se demande si Sparring va nous montrer un personnage original ou tourner au docu-fiction.
Mais dès qu’on rencontre Steeve on comprend qu’il n’est pas Kassovitz, et on se rappelle combien l’acteur sait surprendre et briller pour incarner les petits, les ordinaires, les ternes, et pour transmettre une humanité à fleur de peau.
Steeve est un vieux boxeur qui a plus l’expérience des défaites que celle des victoires, mais qui continue à monter sur le ring.
Il est à l’image de ces gens qu’on voit dans des courses à pied lâchés dès les premiers hectomètres mais qui sont là pour leur défi intime. A la différence près que sur un ring tout le monde vous voit perdre.
Chacun son sport, et sa façon de le pratiquer.
A côté il a un boulot alimentaire (à double titre puisqu’il bosse dans une cantine), mais rien d’assez reluisant pour permettre d’offrir à sa fille les moyens de persévérer dans la musique.
Alors devenir sparring partner d’un champion, c’est peut-être mettre en péril sa santé, mais c’est un sacrifice qu’il est prêt à faire pour sa famille.
Ce qui marque dès le départ, c’est le côté banal et simple de la vie de Steeve.On ne nous vend pas un récit sur l'extrême misère ou sur une dépendance quelconque: ce qu’il cherche, c’est à améliorer le quotidien.
De la même façon qu’il combat sans hargne, il est en quête de bonheurs simples. On est loin du récit du gars qui commence petit pour évoluer et exploser en plein vol.
On reste sur ce père de famille et son désir d’apporter le meilleur aux siens.
Pour une fois l’histoire suit le petit, celui qui peine, celui qui sait que son parcours le mène de souffrance en souffrance.
Le spectateur n’est pas trompé: on ne lui laisse jamais penser qu’il va voir un baudet devenir cheval de course.
Ce héros ordinaire est proche de nous, ses souffrances sont palpables, ses envies sont louables, et on aime le suivre, d’autant qu’il est excellemment incarné par un acteur épatant.
Là où le Sparring devient émouvant, c’est sur les relations familiales, et surtout père/fille.
L’admiration filiale inconditionnelle vient en balance des brimades et des coups que le boxeur reçoit en permanence. L’amour de la famille qui aide Steeve à tenir est aussi celui qui le fait souffrir, et cette dualité des sentiments, ce déchirement qu’on peut connaitre dans d’autres circonstances est très bien rendu.
Il suffit de quelques scènes d’échanges entre une petite actrice elle aussi brillante et un père aimant pour éclairer les motivations et blessures du sportif.
Pas besoin d’en faire des tonnes pour qu’on comprenne pourquoi il endure 1000 souffrances: il regarde sa fille jouer du piano et tout passe dans ce regard: l’amour du père, l’envie de soutenir son enfant, la fierté de pouvoir lui ouvrir les portes, de voir l’admiration dans son regard, la peur de manquer à son devoir, et surtout la pudeur qui vient envelopper tout ça.
Plus que la souffrance physique, c’est celle de l’esprit que met en avant le film, c’est la difficulté à combiner sa bonne volonté avec les coups qu’on prend en pleine face: ceux qui vous sifflent, ceux qui espèrent vous voir tomber, ce champion qui vous rabaisse, cette famille qui vous attend, cet espoir qu’on met en vous et que vous n’arrivez pas à satisfaire.
Le film est bon sur pas mal d'aspects, et on lui pardonne sa photo souvent terne et ses combats pas toujours lisibles.
On ressort de là en ayant le sentiment d’avoir vu évoluer de vrais individus, et Steeve est de ces personnages dont la persévérance nous accompagne quelques temps, de ceux qu’on imagine pouvoir croiser au quotidien.
Sparring est un film beau parce qu’il ne raconte pas grand chose tout en mettant le doigt sur l’essentiel.