Dans Nymphomaniac, Joe explique à Seligman la pitié qu’elle a éprouvé pour un pédophile : « Je venais de détruire sa vie. Personne ne connaissait son secret, lui non plus, très probablement. […] Voilà un homme qui avait réussi à refouler son désir, qui n’avait jamais craqué et que j’ai forcé à se révéler. Il avait vécu toute sa vie dans le déni et n’avait jamais fait de mal. » Pour s’excuser, elle décide alors de lui octroyer une fellation. Cette provocation de Lars Von Trier, dans un film qui s’efforce de mettre à mal – parfois avec une certaine gratuité – les préjugés moraux du spectateur, semble avoir inspiré Ulrich Seidl pour la deuxième partie de son dyptique amorcé l’année dernière. Rimini et Sparta ; une station balnéaire et une ville grecque, un paradis hors-saison et un paradis recréé.
Notre nouveau freak seidlien est donc Ewald, Autrichien à la voix fluette et au regard de chien battu, immigré en Roumanie. Le personnage nous est introduit dans une certaine tendresse, prenant soin de son père affaibli en EHPAD ; même dans un contexte dramatique, la famille semble encore être, chez Seidl, un cocon nostalgique qui s’oppose à la violence du déracinement. Le protagoniste n’est pas chez lui en Roumanie, tout comme Richie ne trouvait pas sa place en Italie. À défaut d’être un bon amant, Ewald culpabilise de ne pas satisfaire sa femme, au point d’attendre dans les toilettes qu’elle s’endorme pour s’éviter une nouvelle humiliation. Le spectateur entretient donc d’abord un rapport empathique à ce pauvre homme avant que le cinéaste ne prenne un malin plaisir à salir son image, et pour cause : Ewald est attiré par les enfants.
Le cinéma d’Ulrich Seidl excelle dans l’exploration de trois thématiques : la solitude, le déracinement et les rapports de domination. L’inconséquence de Sparta tient à son traitement de la pédophilie. En effet, le cinéaste ne peut, pour d’évidentes raisons éthiques, expliquer la déviance de son protagoniste par sa condition socio-géographique ou sa solitude : celles-ci pourraient au mieux motiver son passage à l’acte, mais ce n’est pas vraiment le cas ici. De même, les rapports de domination sont à sens unique, à l’inverse d’un film comme Paradis : Amour où les sugar mama autrichiennes et les beach boys kényans se tenaient mutuellement en laisse. La formule Seidl, déjà bancale et inégalement appliquée, se mêle difficilement au récit de Sparta.
Car il ne faudrait pas s’y tromper : si Ulrich Seidl s’intéresse à la pédophilie, c’est simplement parce qu’elle représente la déviance ultime, l’une des plus tabous. Dans une oeuvre qui traite aussi bien du néocolonialisme que du viol ou de la zoophilie, la pédophilie semblait effectivement manquer au catalogue seidlien. Mais cette façon de plaquer ce sujet à un traitement préexistant revient à l’instrumentaliser de la plus crasse des manières. La dramaturgie du film, consistant à maintenir le spectateur en haleine en lui faisant miroiter le franchissement d’une ligne rouge, est aussi putassière qu’inconsistante : on ne craint pas qu’Ewald sombre parce qu’on l’aime bien, mais par simple refus de s’infliger une scène insoutenable. Si Seidl voulait sérieusement se pencher sur la question de la pédophilie, peut-être aurait-il dû écrire un protagoniste en pleine thérapie qui tente tant bien que mal de contourner sa déviance ? Il y a là un véritable sujet tabou qui aurait sans doute pu mener à l’application de sa formule habituelle, tout en se penchant sur les spécificités d’un personnage attiré par les enfants.
Le film se retrouve bloqué entre son désir de provoquer, sa volonté d’exposer la banalité du mal et le vide de son discours. Exposer une situation pour le simple plaisir de faire parler, telle est la démarche un peu vaine d’Ulrich Seidl. Une scène achève de rendre le visionnage insupportable : celle dans laquelle l’acteur d’Ewald, entièrement nu, prend une douche avec un enfant. Sans présager des conditions de tournage, il y a là une véritable ligne rouge franchie par le réalisateur. Par ignorance, par automatisme ou par simple provocation peut-être, Sparta est un des films les dégueulasses de son auteur.
Site d'origine : Ciné-vrai