Ce film à renversé ma vie, ma vie reversera-t-elle le film ?

Bordel, mais bordel, que ce film m’a mis une claque. Je commence à écrire après la séance : J’erre dans les rues de Paris. Marqué par ce qu’il m’a été donné de voir, marqué par ce que j’ai découvert, marqué parce que j’ai appris. Ces images me reviennent en tête comme des flashs, qui, comme toutes les choses m’ayant marquées dans ma vie, resteront encrées dans ma mémoire...

Spectre est un docufiction, où la frontière entre le documentaire et la fiction est à géométrie variable. C’est le premier long-métrage de Jean-Baptiste de Laubier. Je ne le connaissais pas avant de me rendre à la séance. N’ayant pas vu ses premiers courts-métrages je ne peux pas vous dire de quoi il s’agit. Jean-Baptiste de Laubier aka Para One, nommons le ainsi, est particulièrement connu dans le monde du cinéma pour son rôle de compositeur (il a notamment composé les bo des films de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu, Bande de Filles... si ça vous intéresse : Wikipédia Para One, SensCritique Jean-Baptiste Laubier).

C’est difficile de résumer l’histoire en deux lignes tant elle est complexe ou qu’elle n’existe peut-être pas (?)

Comme Para One l’a précisé dans son intervention avant la séance, Spectre fait partie d’un triptyque entre l’album musical du même nom et « un live » (j’imagine qu’il voulait parler d’une performance live). La musique et l’image sont donc intrinsèquement liées dans ce projet cinématographique. Et on le sent bordel de merde. Il me semble qu’il a mis plus de 6 ans à composer les musiques qui intègrent son film (et j’imagine son album du même nom). On sent que c’est un mec qui est profondément inspiré par la musique. Et je pense que pendant ces plusieurs années, il a pu murir sa création musicale pour savoir exactement ce qu’il allait retranscrire à l’écran sans forcément savoir comment il allait s’y prendre sur le terrain. C’est du moins comme ça je perçois les choses. Et le côté amateur de l’image (et pas dans un sens péjoratif, au contraire) vient renforcer cette sensation de pris sur le vif (et on va pas se mentir, on assiste ici à certaines mises en scène que la vie nous offre qui sont tout bonnement sublimes). J’imagine pas les quantités d’archives vidéo qui ont dû être impliquées dans le film. Les travaux de traitement et de la sélection des images ainsi que le montage ont dû être colossaux… Et c’est surtout à ce moment-là, je pense, que la musique a pu commencer à s’illustrer. Que le film a pu commencer à se construire et peut-être même dans ce cas-ci, qu’il a commencer à se réécrire. Les images, parfois prisent à la volée, collent parfaitement bien à la musique ainsi qu’à la voix de Para One qui nous accompagne tout le long du film. Il a trouvé, dans ses images, de quoi parfaitement illustrer ce qu’il voulait retranscrire dans ses musiques. Sa voix vient parsemer le film d’informations introductives, contextuelles, descriptives, interprétatives...

Les archives vidéo du père sont mêlées à celles de son fils. J’ai l’impression qu’on a utilisé à la fois des images enregistrer sur caméscope (images du père), sur pellicule ainsi que numériquement (images du narrateur). Et ce subtile mélange de procédés, ponctué par des altérations électroniques des images forme un tout qui fait étrangement sens. On sent l’influence de Chris Marker, dans ce mélange mystique d’art électro-analogique.

Ce que j’aime dans ce film c’est qu’il sublime tout un tas de choses avec un certain équilibre. On assiste des moments de contemplation d’instrument musicaux et scientifique des années 70 (synthétiseur, oscilloscope, vhs, télé cathodique). Ces technologies d’anciennes générations sont sublimés à travers de brillantes mises scènes. Leur nature analogique y est parfaitement retranscrite, on peut quasiment palper ces éléments lumineux tant ils paraissent organiques. C’est un autre rapport à la technologie que nous offre le film. Il sublime également la construction humaine avec des voyages architecturaux tout bonnement fantastiques. De la ville brutaliste qu’a faite construire Chris jusqu’au Buzludzha en Bulgarie (le bâtiment en forme d’ovni). L’auteur a des connaissances pointues sur les sujets qu’il met en scène et les présentes d'une manière tout à fait humble et poétique. Et puis, c’est aussi et surtout, l’instant présent qui est sublimé dans ce film. Alors même qu’il ne se compose que d’archives, on semble vivre ce que l’on est en train de voir. C’est un véritable voyage qui a éveillé en moi des sentiments de joie, de tristesse, de nostalgie et de mélancolie pour des choses que je n’ai pas vécues.

Le film aborde les sujets qu’il traite avec une certaine objectivité, ou du moins on sent que le réalisateur a pris du recul sur ce dont il parle. Par exemple, lorsqu’il parle de la communauté dans laquelle il vivait. On aurait pu vite virer dans un discours méprisant et moralisateur. Au lieu de ça, Para One s’est intéressé à comment aurait pu être sa vie en communauté si l’utopie imaginée par Chris avait pu se mettre en place jusqu’au bout. Et il le fait brillamment, en remontant les pistes, ou devrais-je dire les notes. Car c’est en cherchant à faire renaître les musiques composées par Chris, que le réalisateur va rencontrer les cultures qui ont inspiré son guide.

La trame centrale (mais pas forcément la plus présente dans le film) qui est la découverte du père par son fils est particulièrement touchante par la manière dont elle racontée. On remonte le temps, trouve des indices, des signes pour aboutir à une conclusion que je trouve très belle dans sa sobriété.

J’ai rarement été autant touché que devant les dernières images prises de sa sœur. Rien que d’y penser j’en chiale putain. Des fragments de moments de vie dont on arrive à saisir certaines subtilités, mais qui gardent tout de même une part de secret. Tout comme les dernières images de son père, qui contemple une dernière fois la mer. C’est d’une beauté magistrale.

C’est, à mes yeux, une œuvre cinématographique parfaite, car elle n’a, d’une part, pas la prétention à l’être. Et parce qu’elle offre, à qui voudra bien la suivre, un voyage à travers le monde, l’espace, le temps, l’humain et tant d’autres choses. C’est un film particulièrement humble et d’une beauté singulière, tant sur le fond que sur la forme. Merci infiniment, Para One, pour ce qui est, et restera sans en douter, l’une de mes plus grandes expériences en salle obscure.

paulbeaucourt
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le 22 oct. 2021

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Paul Beaucourt

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Spectre: Sanity, Madness & the Family
oeLeo
5

peut-être

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