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le 10 nov. 2021
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Entendons-nous, Spectre : Sanity, Madness & the Family est un objet cinématographique étrange ; documentaire, indéniablement, et pourtant profondément étranger aux formes usuelles du genre, qui touche davantage par sa sincérité que par l'audace ou la sensibilité artistique de sa réalisation. Certains aspects m'ont vivement touché, interrogé, et je tiens à leur rendre hommage dans cette critique.
Le film expose et dénoue une triple quête existentielle : celle d'un artiste qui donne un nouveau sens à sa création, celle d'un adulte qui interroge son enfance, et celle d'un fils qui cherche à comprendre son père. Le réalisateur (Para One) tâche de reproduire ce processus tel qu'il s'est déroulé dans son esprit – au point que son visage demeure invisible du début jusqu'à la fin, comme s'il était important que nous voyions les choses à travers son regard, à partir de son point de vue, rigoureusement – et l'expose en se faisant narrateur objectif, employant une voix neutre, réservée, telle qu'il semble l'arborer dans ses quelques interviews.
Son enfance passée dans une communauté spirituelle sous l'emprise d'un authentique gourou (homme animé par des intentions qui semblent justes, bonnes, mais aveugle aux dangers de ses méthodes) rejaillit en lui alors qu'il redécouvre les accords d'une musique mystérieuse qui accompagnait chaque instant de cette vie de réclusion. Cette musique semble avoir été au principe de sa vocation d'artiste, et entoure de nombreux mystères les secrets de sa famille, comme celui de sa sœur, Anne, dont le regard était traversé de visions (ou d'hallucinations), mais aussi et surtout celui de son père, homme taciturne et mélancolique, de confession catholique, qui a fait le choix avec sa femme de se livrer à cette expérience de vie communautaire dans le but de résoudre les fragilités psychiques qui les tourmentaient lui et sa fille. Ainsi cette musique aux accents sacrés, cette sensibilité familiale à la spiritualité, et ces tourments qui agitaient l'esprit du père et de la sœur forment l'écheveau initial qu'il va s'employer à dénouer ; et, loin de se limiter à l'élucidation d'un drame, cette quête le plongera dans une exploration spirituelle et musicale à travers le monde, l'amènera sur les pas du gourou de son enfance, ses réflexions, tout comme celles de centaines d'hommes et de femmes qui ont cherché à renouer avec un ordre spirituel à cette époque ; l'invitera à regarder et à aimer son père avec des sentiments nouveaux, ainsi qu'à recouvrer une certaine manière d'être au monde, sans avoir pour autant entièrement résolu tous les mystères de son passé.
Ce qui m'a plu, c'est que le réalisateur (qui est aussi DJ ; ou qui, plus vastement, conçoit des morceaux composites à partir d'enregistrements et d'outils électroniques) nous dévoile l'intégralité de son processus créatif, notamment en ce qu'il a d'intime et, pour cette composition particulière, de surnaturel . Nous l'accompagnons dans ces voyages, durant lesquels il rencontre des peuples avec des pratiques musicales très singulières, ou du moins presque inconnues du spectre occidental ; et chaque découverte, en plus de faire écho à son passé, ouvre des perspectives vertigineuses sur les formes et les significations que peut revêtir la musique (j'ai été notamment frappé par le jegog, instrument de percussion balinais que l'on retrouve dans un morceau de la bande originale d'Akira), met à contribution l'imagination du spectateur en lui faisant pressentir des forces et des sensations – produites par la musique – qui suggèrent qu'il y a quelque chose au delà de notre monde, quelque chose qui a animé Chris (son gourou, qui cherchait à libérer l'esprit de ses suivants par la musique) et qui continue d'animer autant de peuples et d'individus, comme ces joueurs de taïko sur l'île de Sado ou sa sœur partie au Japon pour poursuivre sa quête d'un monde nouveau.
À bien des égards, le film m'a rappelé un roman lu à l'adolescence, 1Q84, d'Haruki Murakami ; – sauf qu'au lieu d'adopter le point de vue omniscient de l'écrivain japonais (ce qui est naturel, puisqu'il ne s'agit pas là de fiction), le réalisateur adopte la démarche d'une personne qui, pour une raison ou pour une autre, s'est retrouvée liée à cet enchevêtrement de mystères (dans le livre : les Little People, la secte qui les révère, le passage d'un monde à l'autre, les deux lunes ; dans le documentaire : Chris, sa communauté et et sa quête de second monde, le rôle qu'a joué le père du réalisateur dans cette quête, le rôle que continue d'y jouer sa sœur ; – s'y retrouve même le symbole de l'astre double, le soleil cette fois-ci, etc.) ; – une personne pour qui le temps est venu de démêler cet amas d'impressions et de souvenirs confus, non pas en faisant un pas de côté, de façon à pouvoir reprendre le cours de sa vie après éclaircissement, mais en l'inscrivant dans sa vie même, et se faisant, à son insu, le personnage d'une fiction surnaturelle.
Je préfère m'abstenir sur le dénouement, qui conquiert autant qu'il divise, et encourage les futurs spectateurs (même si au moment où j'écris cette critique le film ne passe plus en salle) à ne pas trop s'attacher à leurs dernières impressions, à bien davantage observer tout ce que leur aura inspiré l'ensemble de la production.
Bref, je mets un terme à cet amas d'idées, en espérant que ça fasse écho dans quelques esprits, et que ça en distraie quelques autres.
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Créée
le 12 nov. 2021
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