Une belle toile

Spider-Man : Across the Spider-Verse est sans conteste une claque artistique et scénaristique, une œuvre où la forme et le fond se rencontrent dans un florilège de créativité époustouflante. C'est un film qui brille par son audace visuelle et sa capacité à repousser sans cesse les limites de l’animation, tout en développant une histoire où les enjeux personnels et universels se tissent avec finesse. Ce deuxième volet de la saga entérine le statut de Miles Morales en tant qu’icône de la pop culture tout en affirmant l’ambition artistique de Sony.

En 2023, après le triomphe inattendu du premier film en 2018, Across the Spider-Verse était un projet à haut risque. L’effet de surprise qui avait tant marqué Spider-Man : New Generation semblait aujourd’hui difficile à reproduire. Le multivers, thème largement exploré et parfois maltraité dans le MCU, risquait de perdre son pouvoir de fascination. Et pourtant, les réalisateurs ont une nouvelle fois créé la magie. Ce film n’est pas une simple suite ; c’est une explosion de couleurs, de formes et de sensations. Il ne se contente pas de prolonger l’histoire de Miles Morales, il l’intensifie, la déploie, la transcende.

Dès le premier acte, le spectateur est plongé dans un univers visuel d’une richesse inouïe, où chaque plan semble être une toile vivante. Le film se nourrit des influences de grands artistes comme Kandinsky et Warhol, tout en rendant hommage à la douceur et à l’intensité d’artistes comme Phil Noto et Mike Del Mundo. La diversité des styles graphiques, les clins d’œil à l’histoire de l’art, et l’utilisation d’une palette de couleurs chatoyantes viennent renforcer l'émotion brute des scènes, où chaque geste est porteur de sens et de puissance. Et pourtant, malgré cette diversité, l’ensemble reste cohérent, élégant, comme si chaque univers parallèle offrait une résonance différente aux thèmes abordés : le devoir, le sacrifice, l’identité.

C’est là la grande réussite de ce film : parvenir à allier le spectaculaire à l’intime. Si le premier film laissait place à une jubilation presque adolescente, Across the Spider-Verse développe une dimension plus profonde, plus poignante. Les relations entre les personnages, notamment entre Miles et Gwen, sont traitées avec une subtilité rarement vue dans le genre. À l’écran, le duo fonctionne à merveille, unissant la légèreté de l’adolescence à la gravité des choix qui s’imposent à eux. Leur évolution, marquée par des instants de tendresse et de mélancolie, fait écho à la beauté des scènes aériennes où le poids du monde semble suspendu, défiant les lois de la gravité.

L'originalité du scénario est à la hauteur de cette audace visuelle. Si l'on s'attendait à une suite facile ou prévisible, le film nous emmène bien plus loin. Les concepts explorés, notamment le multivers, sont traités avec une subtilité rare. Chaque univers parallèle est une vision unique, une signature esthétique qui fait sens au-delà de l’intrigue. On est loin des clichés habituels, chaque nouveau monde est une petite révolution en soi, une promesse de découvertes toujours plus folles. Le scénario joue avec nos attentes, tord nos certitudes, nous embarquant dans un récit où l’on ne sait plus vraiment où commencer et où s’arrêter.

Les dernières trente minutes sont un concentré de génie, un crescendo qui maintient l’audience en apnée. La tension monte sans relâche, chaque instant semble plus crucial que le précédent. Les enchevêtrements d’images parallèles s’entrelacent, formant une toile visuelle où passé, présent et futur se répondent sans cesse. C’est une immersion dans une esthétique qui ne se contente pas de nous éblouir, mais qui nous raconte une histoire à travers ses moindres détails. Les visages, les paysages, les couleurs, tout est une métaphore vivante, une lecture de l’âme du film.

Et puis, la musique… La bande-son est un autre personnage à part entière, pulsant dans chaque fibre du film. Les beats, les mélodies, les silences, tout contribue à cette atmosphère électrisante, donnant à chaque scène un poids émotionnel, une résonance qui touche au plus profond. Elle ne nous accompagne pas seulement, elle nous prend par la main et nous guide dans cette aventure épique.

Et bien sûr, ce twist final. Ce moment qui nous frappe, nous surprend, nous laisse sans voix. Un retournement de situation inattendu, magistralement orchestré, qui relance tout le récit d'une manière que l'on n’aurait jamais pu prévoir. Et là, au sommet de ce tourbillon d’émotions et d'images, un "TO BE CONTINUED" qui résonne comme un cri dans l’air, interrompant ce qui aurait pu être un dénouement explosif.

L’excitation est là, vive, brûlante, et malheureusement, elle doit s’arrêter là, sur cette note suspendue. C’est presque cruel, mais en même temps, c’est tout ce qui fait la grandeur de ce film. Il nous laisse suspendus dans l’attente, désireux de voir ce que l’avenir nous réserve dans ce monde, cet univers, cet art. Spider-Man: Across the Spider-Verse n'est pas seulement un film, c'est une révélation, une œuvre d'art animée qui réécrit les règles de ce que l’on peut attendre du cinéma d’animation.