Il est difficile de présenter ce film et d'oublier le gigantesque sourire qui m'a accompagné des heures après sa conclusion. C'est pourquoi je m'exprimerai plus clairement sur son intérêt qu'à travers la partie spoilers...
En apparence, Split s'annonce comme un thriller psychologique réservant un nombre de surprises limitées par le genre et son sujet. Et si vous l'abordez sans plus de curiosité et sans passion particulière pour le cinéma de Shyamalan, vous y verrez un film au mieux très sympa, profitant de performances d'acteurs remarquables, d'une mise en scène assez sobre bien qu'intelligente, et ce sera à peu près tout.
Mais c'est en prêtant une plus grande attention à certains dialogues, et en regardant les personnages pour ce qu'ils représentent, ce qu'ils habitent, plus que pour leur fonction scénaristique, que vous commencerez à peser les enjeux profonds qui dépassent la petite aventure horrifique de ces 3 filles et de ce séquestrateur.
M. Night Shyamalan, même s'il s'est fait maître dans l'art du suspense et du fantastique, n'a jamais écrit d'histoire dans le simple but de produire des effets. Il conte toujours, derrière ses personnages et ses contextes, la lutte intérieure ou extérieure, visible ou invisible, de forces régissant l'existence tragique des protagonistes.
Et si Split n'assouvira pas forcément la quête de frisson recherchée par certains, il reprend avec audace l'oeuvre et les réflexions de son auteur là où il les avait laissé.
~ Spoilers ~
Si vous avez vu le film, il ne reste que deux options :
1) Vous ne comprenez pas pourquoi il y a Bruce Willis à la fin et pourquoi c'est un twist important. Arrêtez tout et regardez Incassable.
2) Vous avez compris ce que signifiait la fin (et votre tête a explosé de joie), vous pouvez donc continuer votre lecture.
Pour être honnête je me retiens de tartiner un gros paragraphe bordélique, bourré de superlatifs et de majuscules, évoquant le choc et de l'admiration que je me suis pris dans la gueule à la fin du film. Je veux dire, prenons un moment pour réaliser que le monsieur nous a fait voir Incassable 2 de manière complètement dissimulée, non communiquée à travers les médias, le marketing (si ce n'est la subtile affiche qui révèle son harmonie une fois côte à côte avec celle d'Incassable), pour nous le révéler clairement que dans l'épilogue de celui-ci. Qui a déjà osé faire ça dans toute l'histoire du cinéma ? Personne. slow clap
Pour en revenir au film, cette fin redéfinit la portée des événements et même le genre du film. Ce n'est plus un thriller-psychologique mais un film fantastique à part entière, tout en restant dans le registre "réaliste" cher à Shyamalan, et même un film de super-héros, une origin story sur un vilain, comme il ne s'est jamais fait jusque là. Après le gavage constant au cynisme abêtissant des productions Marvel, voire DC, on retrouve enfin un film qui réfléchit sur la notion de super-héros, explorant vraiment la lutte mythologique des figures du bien et du mal, et de toutes les nuances et questions qu'elle implique.
Quelques analyses diverses sur les personnages-symboles de Split :
La psychologue pense aider Kevin en glorifiant les multiples personnalités qui l'habitent, pensant possible un équilibre sain entre toutes les différentes parties. Pourtant elle ignore le trauma qui a accentué ou déclenché son trouble et elle nie complètement la réalité de la bête. Il y a pourtant un désir et un besoin d'unité en Kevin, mais non, elle insiste a convaincre l'ensemble de sa profession que la division au sein d'un même corps est un progrès de l'humanité, malgré qu'un de ses confrères la pousse à essayer de régler le problème Kevin au lieu de légitimer sa fragmentation.
Kevin réagit au même problème mais avec ses moyens : la bête. Une personnalité assez forte pour les régir tous, les unir et les protéger.
La souffrance que Casey traîne depuis son enfance la sauve à deux reprises. D'abord lors de la séquestration elle-même : ses amies sont incapables de tolérer la situation et cherchent désespéramment à s'enfuir par tous les moyens possibles, tandis que Casey se résigne et accepte l'horreur de l'incertitude pour tenter de s'en sortir vivante, répétant ainsi le schéma de sa vie. Lorsque la bête finit par l'épargner, à la vue de ses scarifications, elle n'est pas éprise de pitié pour elle, elle reconnait simplement le rêve de Kevin. Elle y voit un être uni, complet avec ses parts claires et sombres au sein du même individu, ce qui la rend plus forte, "pure", à ses yeux.
C'est cette rencontre avec une version débridée du Mal qui va pousser Casey à reconnaître le mal plus vicieux qu'il y a en elle, refoulé sous ses couches de vêtements et au fond de sa mémoire, pour probablement dénoncer/quitter son oncle comme le laisse penser le long silence lors de l'échange avec la flic et le changement de regard de cette dernière.
Il n'y a donc plus qu'à attendre le prochain film Incassable pour voir ce que nous réserve la lutte étonnante de deux hommes invincibles, l'un de manière innée, l'autre par l'acquis et la douleur...
J'ai hâte.