Prenez tous les grands hits du ‘’Hood Film’’ de ‘’Do the Right Thing’’ en 1989, jusqu’à ‘’Friday’’ en 1995. Notez sur des petits papiers absolument toutes les conventions inhérentes à ces productions. Mettez-les dans un pot, ou un bol si vous n’avez pas de pot. Mélangez. Tirez-les un par un. Au fur et à mesure du tirage, prenez des notes vous permettant d’élaborer une histoire. Voilà certainement comment les frères Shawn et Marlon Wayans ont dû procéder pour rédiger le scénario de ‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’.
‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’ (rien qu’écrire le titre du film en entier va me permettre de composer une très loooooooongue chronique) est une parodie prenant pour cible la mode des ‘Hood Films’’, qui jusqu’en 1995 rencontra un succès critique et public, s’imposant comme un genre à part entière. Éminemment politique, il se faisait le porte-parole d’une misère dans les ghettos afros des grandes villes américaines.
Un genre n’en est jamais réellement un tant qu’il n’a pas été sérieusement parodié. La moquerie fait partie d’un passage nécessaire pour fixer définitivement ce qui pourrait n’être qu’un vulgaire effet de mode. Un tel processus indique que codes et conventions sont entrées dans la culture populaire, au point que l’on puisse en rire, mais aussi que le public a été marqué par la vague.
‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’ ne manque pas à la règle en reprenant absolument tous les schémas narratifs du genre, pour les empiler les uns avec les autres. Le résultat est forcément détonnant, puisque même si de nombreux gags tombent à plat, et que l’effort des frères Wayans est tellement over the top que parfois la gaudriole s’échappe dans de déviants extrêmes difficiles à comprendre, la volonté de faire rire prévaux.
‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’ a la particularité de sortir pile au moment où le genre était sur le point de s’essouffler. Comme le confirme les productions d’après 1995, qui n’apportent plus rien à un genre devenu banale, puis désuet, avant de disparaitre naturellement. Il est dès lors possible de tracer une ligne parfaitement claire à partir de ‘’Do the Right Thing’’ jusqu’à ‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’
L’œuvre maitresse de Spike Lee, qui n’est pas un ‘’Hood Film’’ à proprement parler, n’étant que la production ayant donnée l’impulsion au genre, possède cependant toutes les codifications du genre. Sauf que c’est une œuvre indépendante arty, portant vraiment la patte de son auteur. Pour exemple, ‘’Boyz n’ the Hood’’, qui porte aussi la marque de son auteur, est le métrage qui est pris en modèle. Ce n’est ainsi pas une surprise que ce soit la trame principale de ce dernier que moque ‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’.
Du film de John Singleton se déclinent tout autant de variations qu’il existe de productions du genre. Ce sont ces mêmes variantes qui sont détournées, pour notre plus grand bonheur de spectateurice potache, avec ‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’. Les frères Wayans ont tout compris à l’univers, et avant que le genre ne sombre dans l’auto-parodie, ils s’en chargent.
Pour exemple, la ‘’Rom Com’’ n’a pas connu de parodies dignes de ce nom. Il a fini par se parodier lui-même par des œuvres ridicules, et mauvaises. Il n’y a pas eu cette production cathartique pour prendre conscience des limites du genre. Contrairement au ‘’Western’’ parodié en 1874 avec ‘’Blazing Saddles’’ de Mel Brooks. Ou bien encore les actioners made in 80’s avec ‘’Hot Shots !’’ en 1991, et ‘’Hot Shots ! Part Deux’’ en 1993, tous deux par Jon Abrams. Pour le films d’action/polar ce fût ‘’Loaded Weapon I’’ de Gene Quintano en 1993. Et lors de la seconde vague du Slasher, ce sera les frères Wayans qui reviendront aux affaire avec l’excellent ‘Scary Movie’’ en 2000.
Un genre naît, se développe au premier degrés, ses codes et conventions s’étirent, atteignent leurs limites, et à cette charnière soit un cinéaste virtuose débarque avec une volonté de briser les codes et réinventer le genre, soit la parodie s’en charge. Suite à cette étape un genre ne meurt jamais définitivement. Des œuvres souvent mineurs apparaissent. Jusqu’à ce que le genre soit remis au goût du jour avec une démarche plus ‘’méta’’.
Car non, le ‘’Hood Film’’ ne meurt pas avec ‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’ (que je pourrais raccourcir en ‘’Don’t be a Menace’’. Je pourrais...). Il y a dans les années 2000 des petites productions qui s’en revendiquent. Mais aucune n’a rencontré le succès, ni n’a atteint la qualité de celles sorties dans les 90’s. Cependant dans les années 2010 deux œuvres indiquent que le genre n’est pas mort, et qu’il a encore des choses à dire.
En 2013 ‘’Fruitvale Station’’ de Ryan Cogler utilise ainsi les codes du ‘’Hood Film’’ en les adaptant à son époque et à son propos. Avec pertinence il propose un univers structuré sur les conventions, pour servir un récit original. Puis en 2015 le ‘’Straight Outta Compton’’ de F. Gary Gray, qui correspond à une œuvre somme, a une dimension complétement ‘’méta’’. Racontant le destin du groupe N.W.A, en utilisant les codes du ‘’Hood Film’’, pour illustrer un mouvement bien précis, à une époque bien précise, où le genre était en train de naître.
En effet, je n’ai que très peu parlé de ‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’, car c’est assez difficile de parler d’une parodie. Tout dépend des sensibilités de chacun. Le film ne faisant pas exception, il est mieux de se faire une cure de ‘’Hood Film’’ avant de se lancer dedans. Bien que sa débilité ambiante diffuse est déjà drôle en soit. Encore une fois, c’est selon l’expérience et les attentes de chacun. Une parodie est bien souvent moins accessible que le genre qu’elle parodie. Et c’est ce qui en fait à la fois sa force et ses faiblesses.
‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’ est une bonne parodie. Qui sait se jouer de tous les codes à la perfection, et dans une ambiance complétement à côté de la plaque. Ça va parfois loin, très loin, trop loin. Mais ça se voit que les Wayans ont un profond respect pour les œuvres dont ils se moquent avec une irrévérence fortuite, et une impertinence polissonne des plus jouissive.
Aller, juste une dernière fois et puis j’arrête, ‘’Don't be a Menace to South Central While drinking your Juice in the Hood’’ est la parfaite résonance d’un genre marqué par sa nature politique et sociale, révélateur avant toute chose d’une époque, dans laquelle il est particulièrement ancré. Avec ses films coup de poings des années 1990, il se faisait témoin d’un moment où la population Afro-américaine marquait son histoire, par le prisme du cinéma. Faisant désormais part intégrante et incontestable de la communauté américaine dans son ensemble. Et non plus une population à part, abandonnée aux marges.
Même si le combat n’était pas pour autant gagné, et qu’il se poursuit encore aujourd’hui dans certains endroits, ces productions rappellent qu’à un moment clé de son histoire, cette communauté à prise les choses en main, et est parvenue, avec la magie du cinéma à se faire voir aux yeux d’une société qui l’ignorait depuis tant d’année. Et c’est pour ça que le genre éphémère du ‘’Hood Film’’ est si particulier. Il constitue un bloc d’une importance capitale dans l’Histoire des Afro-Américains, dans l’Histoire hollywoodienne, et dans l’Histoire des États-Unis.
-Stork._