Korine, harmonie mortelle
La première fois que j’ai entendu parler de ce film, encore à l’état de projet un peu fou, ce fut par des fans de Korine. « Tu te rends compte, le mec qui a fait Gummo et Julien Donkey-Boy va s’attaquer au Spring Break avec des héroïnes Disney ! » Eh bien non, tout ignorant que j’étais je ne me rendais pas compte, mais il faut avouer que l’idée même du film entre les mains d’un réalisateur doué et libre de ses choix était assez attrayante. Il était aussi évident que le marketing du film serait fourbe juste comme il faut, façon Drive, pour ratisser large quitte à décevoir (mais après tout les gens ont payé, même les parents qui emmenaient leurs chères têtes blondes voir leurs égéries Disney Channel au cinéma).
Ça n’a pas raté. Si la première bande-annonce se contentait de quelque chose de sobre et presque contemplatif, la seconde mettait le paquet pour ressembler le plus possible à un ersatz de Projet X, sur fond de basses ronflantes et de débauche « fun ». Ajoutons à ça les affiches joyeusement colorées avec pour seule citation presse «La température va monter d'un cran" par Première. Il devait vraiment être difficile de trouver plus intelligent et moins racoleur. Bref, je digresse, revenons au film. Comme beaucoup qui furent induits en erreur par la promo ou simplement curieux, j’ai découvert le réalisateur avec ce film, qui semblait être son plus accessible.
Tout dépendra de votre définition d’accessible, mais dans l’ensemble ça l’est, et ce fut d’ailleurs mon seul infime reproche au film, ne pas toujours pousser l’expérience jusqu’au bout, avec une légère impression de retenue. Forcément ça pourra choquer si on est habitué à des films relativement cadrés et structurés, mais la surprise de ceux qui ne s’attendaient pas à ça est loin d’un Tree of Life, par exemple.
Dès la scène d’introduction, impossible d’être trompé par la marchandise, presque tout ce qui va suivre est annoncé : un équilibre subtil entre racolage et approche frontale, entre dégoût et fascination, mais surtout entre simple constat et critique de la jeunesse actuelle, certainement ce qui fait le plus débat. Le côté « coquille vide » à première vue renforcé par l’utilisation de Skrillex en fond sur cette séquence (et il faut du talent pour que ça passe aussi bien que ça) n’est qu’un voile couvrant le second degré et le cynisme de ces ralentis dignes de mauvais clips de R’n’B. Sans chercher trop loin, on retrouve un peu le même regard qu’un Aja en plein Spring Break dans son Piranha 3D, même si la comparaison s’arrêtera là.
Une fois n’est pas coutume pour un film récent que je chronique, il est plus facile de parler de ressenti et de sensations que de décortiquer les différentes qualités (ou défauts) de l’œuvre en question. La photographie assez exceptionnelle se détache tout de même, pendant le film je pensais à un mélange entre celles de Noé et Lynch, et en effet c’était le directeur photo de Gaspard Noé, à savoir Benoît Debie, qui livre un boulot impressionnant. Pour les connaisseurs, j’ai eu la forte impression que l’oeuvre dont le film se rapprochait le plus était le jeu indépendant Hotline Miami (que je conseille au passage), avec ses couleurs flashy toujours à la limite du mauvais goût, sa BO électro hypnotisante et ses délires à base de flashs troublants, ainsi qu'une séquence précise vers la fin que j'aurais le bon goût de ne pas révéler.
L’utilisation dès le début du film de phrases récurrentes en voix off, et de rechargement de fusil à pompe à chaque changement de séquence, instille un certain malaise, un sentiment de fatalité qui se confirme par les différentes étapes que vont rencontrer le groupe, une progression très similaire à celle qu’on connaît dans les films de gangsters plus classiques (je ne spoile pas, il suffit d’avoir vu la tête de James Franco sur une affiche ou dans une bande-annonce pour s’en douter). Le film prend un virage logique à partir du moment où il rencontre le groupe de filles, lâchant un peu le Spring Break lui-même, sujet difficile à tenir sur 1h30, pour traiter de gangsters de pacotille. Il y a quelque chose d’assez fascinant à voir évoluer un Franco totalement dans son personnage, ridicule et touchant à la fois en blanc ayant grandi dans un quartier noir et ayant adopté tous les tics possibles pour s’intégrer.
La force du film reste surtout de raconter cette histoire qui tient sur un post-it de façon très détachée, en empilant des séquences plus ou moins contemplatives voire hors-sujet, sur fond de musique lancinante et de voix off qui se répètent, pour former un tout cohérent. Cette combinaison d’ellipses, de non-dits et de flash-backs permet de créer sur cette courte durée et avec des personnages qu’on connaîtra finalement peu, un sentiment de nostalgie pour un instant précis dans lequel elles auraient aimé vivre, mais que l’on sait pertinemment condamné à être un fantasme.
La question de savoir si le film, et le réalisateur donc, porte un jugement acerbe ou non sur une certaine jeunesse actuelle qui ne sait pas où elle va se révèle peu à peu inintéressante à mon sens. D’une part, Korine a dit lui-même que ce n’était pas son but, d’une autre il semblerait plutôt que son film soit juste assez ouvert pour que chacun y voit ce qu’il veut.
La seule chose qui me semble importante en allant voir ce film est de savoir un minimum à quoi s’attendre (parents, nous le répétons, n’emmenez pas vos enfants voir Selena Gomez et Vanessa Hudgens) et ne pas emmerder vos voisins si ça ne vous intéresse pas. J’avais senti venir le coup façon Drive ou Tree of Life, mais rien à faire, la rangée de derrière qui s’interroge cinq minutes sur le fait que « eh mais le dealer c’est pas le type de Spiderman là ? » (OUI C'EST LUI), ça sort un peu du film. Sur ce coup de gueule gratuit, merci de m’avoir lu et si ça vous a donné un tant soit peu envie foncez, vous ne verrez pas ça tous les jours au cinéma.