Le nouveau long métrage d'Harmony Korine était un pari risqué. Sur le papier, tout sonne faux et annonce la catastrophe : casting de midinettes Disney Channel, sujet qui concerne un des mythes estudiantins américains, garant de mauvais goût et de white trash facile... Et pourtant, le cinéaste über indépendant slalome entre les écueils et délivre un film déroutant, intrépide, fluorescent et bigarré.
Le mauvais goût assumé semble être le fil conducteur du film. Première séquence ahurissante, baignée d'un son électro du pire effet, qui filme jusqu'à l'écoeurement des seins, des femmes, des corps frénétiques et abandonnés à l'alcool et aux drogues. En même pas cinq minutes le ton est donné : le film sera une immersion par bien des aspects réalistes dans l'univers pas franchement glorieux des délires des étudiants friqués américains. Si cette plongée passe nécessairement par une certaine complaisance, la manière dont Korine filme de salmigondis de stupre et de vulgarité ne laisse aucun doute, tout est déformé, hystérique, monstrueux : sans forcément le désigner comme un mal absolu, le cinéaste parvient à trouver un ton juste et distant, dénonçant tout à la fois les excès de la fête tout en montrant qu'elle fascine et peut séduire.
Le découpage du film, dans son ensemble, est plus classique qu'il n'y paraît. Acte 1 : quatre amies dont une bien sage et dévote sont fauchées mais veulent partir quand même en Spring Break. Acte 2 : après avoir braqué un fast food, elles partent et s'éclatent comme des folles. Acte 3 : elles déchantent, finissent en taule et rencontrent un loubard chelou, l'atterrissage sera long et douloureux. De cette facture somme toute classique (objectif, grandeur, décadence), le cinéaste tire une histoire souvent imprévisible et loufoque, plutôt trash et parcourue de scènes malsaines ou franchement peu appétissantes, mais qui semble baignée d'une tension et d'une mélancolie franchement déroutantes. La musique est à ce titre cruciale, qu'il utilise des nappes électros de synthés à titre d'ambiances (souvent nocturnes, très Manniennes ou Winding Refniennes à leur manière - le fluo du film n'est pas non plus étranger à ces deux autres cinéastes), ou qu'il détourne des "gros sons qui tâchent" pour filmer la déroute ordinaire de cette pognée de beaufs. Ainsi cet hilarant moment de cinéma où Franco (sous acide, complètement dingue dans le film) entonne du Britney Spears (dont 2 titres seront repris dans le film, à chaque fois sur un mode violemment cynique), qui se mue rapidement en séquence, étrange, hypnotique et belle, où les créatures insaisissables que sont devenues les 3 filles restantes, dansent, encagoulées et armées.
Le film se joue ainsi de son propre mauvais goût et de ses clichés : mauvaise musique, couleurs flashys, nudités et érotisme cheap, drogues, gangsters de pacotilles, pimbêches aux prénoms ridicules (Cotty, Candy...). Ce n'est pas pour rien si la sage, brune et fragile Faith (la foi) fuit le désastre à temps. Mais tout fonctionne comme si les personnages eux-mêmes étaient conscients d'être dans un film - ou plutôt comme si le monde que nous présente Korine était un monde qui aurait définitivement digéré les codes du cinéma de genre (la référence à Scarface qui "tourne en boucle" est à ce titre révélatrice) à tel point que le cinéma investit le monde et non plus l'inverse. De ces êtres devenus archétypes conscients, Korine tire des figures imprévisibles, inégales, aux motivations floues. La séquence incroyable de la fellation sur canon(s) est exemplaire, de même que le final du film, feu d'artifice fluorescent, en contrepoint permanent, explosion de violence salvatrice et attendue.
La trajectoire du film et de ses héroïnes vers ce final pourtant inévitable (tant de tension accumulée devait bien exploser) était bien sûr minutieusement tissée par Korine, grâce à un sens aigu de la mise en scène et surtout du montage (visuel et sonore) : le film est à percevoir comme un long trip hypnotique, qui, certes narratif de manière plutôt linéaire, à sans cesse recours à des inserts bref de flasbacks et de flashforwards, qui composent un puzzle d'émotions, de souvenirs, et perdent un peu le spectateur. Certaines images arriveront bien plus tard que d'autres, mais on aura gardé dans un coin de tête leur arrivée; certaines phrases seront répétées ad nauseam, et souvent, les mots ne colleront pas aux images du premier coup. Les voix du film s'entremêlent et se joue de la temporalité, pour produire un décalage contrapuntique entre ce qui est dit et ce qui est montré : en témoignent les coups de fil que passent les amies à leur famille.
Passionnant maelström d'images et de sons mixés jusqu'à la transe, baignés de couleurs fluo, zébrés de fulgurances vulgaires et white trash, mais qui, à sa manière, émeut. On en sort essoufflé, pantois.