Ce flim n’est pas un flim sur le Spring Break, merci de votre compréhension
« Je n’ai aucune idée du genre de film auquel vous vous attendez, mais vous ne devez certainement pas vous attendre à ce genre de film-là » avait déclaré Harmony Korine lors de l’avant-première parisienne. Face à lui, des hordes de fans de Selena Gomez, Vanessa Hudgens et Ashley Benson qui risquent, tout comme leurs héroïnes dans le film, de faire un voyage dont elles ne sortiront pas indemnes. Elles ne sont en effet pas le public habituel de Korine, cinéaste indépendant réalisateur de plusieurs films expérimentaux comme Julien Donkey-Boy, tourné sous les principes du Dogme95 de Lars von Trier et Thomas Vinterberg.
Et effectivement, Spring Breakers est bien plus proche de l’univers du réalisateur que de celui de nos 3 Disney girls. Dans le film, le Spring Break n’est qu’un prétexte au lancement d’une histoire plus complexe où réflexion sur la jeunesse et rêve américain se côtoient. Les clichés sur ces fameuses vacances de printemps sont d’ailleurs rapidement évacués. En guise de scène d’intro, Korine nous fait un condensé du Spring Break en mélangeant plage, sexe, boobs et alcool avant de rapidement passer à autre chose. D’autres images du Spring Break suivront bien sûr, mais elles ne seront là que pour montrer le nouveau monde dans lequel rentrent les personnages. Car comme d’autres films du réalisateur, Spring Breakers est d’abord un portrait, celui de ces 4 jeunes filles qui rêvent d’une autre vie.
Si dans Kids de Larry Clark, dont il était le scénariste, Harmony Korine s’intéressait à de jeunes ados new-yorkais et leurs problèmes (notamment face au sida), il a maintenant fait grandir ces personnages tout en gardant les mêmes thèmes. Car chez ces étudiantes, le mal-être est toujours présent et le Spring Break, au-delà des promesses de sexe et d’alcool, symbolise avant tout la liberté et la transgression. Une transgression qui n’a pas la même signification pour toutes. Pour certaines le voyage finira plus tôt, préférant rentrer chez elles et laisser leurs amies s’enfoncer avec Alien dans une radicalité de plus en plus déconnectée de la réalité. Car après leur passage en prison, elles vont découvrir un autre monde, celui des dealers et des armes à feu (symbole phallique revenant tout le long du film). Il symbolise comme le Spring Break ce rêve américain où tout est possible, mais où les conséquences de leurs actes sont bien plus importantes et empêche tout retour en arrière.
C’est aussi là que le talent d’Harmony Korine et de son directeur photo, Benoît Debie, éclate à l’écran. Le travail sur la photo est excellent et donne rendu original aussi laid que magnifique. Les couleurs servent ici à symboliser l’espace dans lequel évolue les personnages et son degré de réalité. La fac du début est terne et triste mais dès que les filles arrivent en Floride, l’écran se recouvre de couleurs flashy donnant l’illusion d’un monde accueillant mais aussi complètement factice. Le gris reviendra très vite lors de leur arrestation et du retour à la réalité avant de se dissiper à nouveau quand elles plongeront dans l’univers d’Alien, sorte de Spring Break extrême totalement coupé du monde réel. L’image devient alors de plus en plus fausse et les couleurs de plus en plus criardes jusqu’à une scène finale superbe où rêve et réalité se confondent. Korine réutilise aussi les codes de l’enfance pour les pervertir comme par exemple quand les ses actrices entame une ronde où au lieu de se tenir par la main, elles tiennent chacune l’extrémité d’un flingue. Enfin le réalisateur, comme dans ses autres films, s’abstient de tout jugement sur les choix de ses personnages, ce qui lui permet d’éviter toute morale bien-pensante.
L’autre force du film est son casting. Si l’on pouvait craindre le pire avec des héroïnes Disney à l’affiche, le choix est finalement très judicieux. En les choisissant, Korine mélange trois idoles tout public à son univers particulier dans une ironie délicieuse. Mais il faut avouer qu’elles sont aussi assez convaincantes, sans être de grandes actrices, elles incarnent parfaitement cette jeunesse désabusée. La dernière fille est quant à elle jouée par Rachel Korine, la (très jeune) femme du réalisateur. De loin la meilleure actrice des quatre, elle tire vers le haut la prestation des autres. Et puis il y a James Franco, terrifiant et ridicule à la fois, qui livre une superbe performance. Le personnage d’Alien, s’il est une caricature, est plus complexe qu’il n’y paraît grâce au jeu de James Franco aussi à l’aise quand il s’agit de sucer le canon d’un pistolet que d’interpréter Everytime de Britney Spears au piano.
Mais le film a aussi ses défauts. Si les thèmes abordés sont intéressants, ils sont traités de manière assez simpliste. Spring Breakers est peut-être complexe mais certainement pas subtil. La réalisation toujours expérimental d’Harmony Korine ne marche non plus à tous les coups, les flash-backs incessants ralentissent considérablement le film qui semble long malgré ses 92 minutes. Enfin, les séquences au Spring Break, si elles sont minoritaires, ne sont pas parmi les plus inventives, et si l’on comprend (et apprécie) son envie de filmer boobs et bikini, cela devient vite lassant, le sujet du film étant ailleurs.
Visuellement inventif, mélangeant les genres, entre pop culture et cinéma d’auteur, Spring Breakers n’est donc pas un film pour ado. Harmony Korine signe un nouvel ovni cinématographique qui trouve parfaitement sa place dans sa filmographie décalée.