Stalker ou une poésie de l'apocalypse
L'une des principales qualités de Tarkovsky, finalement assez rare dans le cinéma, fût sa totale maîtrise de l'espace-temps. Ses film ne sont pas des "histoires" se déroulant en des lieux précis, mais plutôt des expériences, souvent mystiques, dont les seuls paysages ne sont que le reflet d'une âme en quête de son unité.
"Stalker" est un rite initiatique, le récit d'une quête de l'absolu. Le récit d'une vie. Et comme dans tout parcours iniatique, les personnages se heurtent à leurs propres tabous et phantasmes. Ils se retrouvent confrontés aux peurs et aux interdits qui se sont érigés au fil du temps.
Le Stalker, c'est le passeur, le guide. C'est celui qui ose s'astreindre à un dépouillement volontaire pour pouvoir affronter les forces contraires qui sont en lui pour les ordonner et tendre ainsi à travers les luttes de l'existence vers son unité.
C'est aussi celui qui nous accompagne dans les grandes étapes de la vie, qui nous porte sur ses épaules et nous mène d'une rive à l'autre.
Charles Baudoin avait déjà admirablement développé ce thème dans son testament spirituel, "Christophe le Passeur". Mais là où Baudouin met en scène les grands achétypes humains (Don Quichotte, Hamlet, Faust...), Tarkowsky, lui, ne met en scène que deux personnages: un physicien et un écrivain. C'est la représentation de l'antagonisme se jouant dans l'homme qu'il nous raconte ici: l'opposition entre la pensée rationnelle, logique et démontrable, contre la pensée trouvant sa raison dans le ressenti, l'imaginaire ou le rêve. D'ailleurs la découverte de la chambre secrète, celle sensée réaliser les voeux de celui qui y entre, est le point culminant de ce conflit: lequel entrera en premier? qui aura la foi suffisamment forte pour ne pas tout remettre en question?
Dans ce pèlerinage, les trois personnages du film n'ont finalement que quelques dizaines de mètres à parcourir. Mais les chemins sont sinueux, le danger est omniprésent, et les détours, comme autant de doutes, sont nombreux.
La "Zone", lieu imaginaire, offre tour à tour des paysages apocalyptiques de rues désertes et d'égouts, puis d'univers quasi onirique où les symboles universels sont autant de bornes de passage. On est ainsi pris tout au long de ce film entre le réel et l'imaginaire, sans que jamais on ne bascule ni dans l'un ni dans l'autre. C'est le chemin du dernier espoir où tout retour en arrière est impossible.
"Stalker" est un film sur le mystère ontologique de l'homme, sur la nécessaire déconstruction de l'être lui permettant le dépassement de sa propre finitude:
"Les temps du rien sont nécessaires
temps où se défont les certitudes;
où les procédés cèdent du terrain,
où toutes les formes moribondent parce que finies,
nous demandent de passer plus outre"
Film envoûtant, d'une grande puissance poétique, il s'agit de l'une des oeuvres les plus marquantes de Tarkovsky, ambitieuse tant sur le fond que sur la forme, mais toujours empreinte d'une profonde humilité.