La question n'est pas de trouver l'objet de votre désir, mais de découvrir ce qu'il est vraiment. Ainsi la Zone ne se résume pas à un puits des souhaits, elle est d'abord un voyage.
La Zone est un mystère en soi ; elle ouvre sur le mystère de soi. Le voyage est là pour se découvrir avant de se voir exaucé.
Le Stalker n'est pas un guide expérimenté. C'est celui qui vient pour la beauté du geste, et pour trouver l'émotion dans ce qui semble inhospitalier. Celui qui sait trouver dans la Zone une certaine palette de couleurs qu'il manque au monde extérieur, et qui sait la montrer à ceux qu'il entraîne dans son sillage. Le militaire armé y périt. Le Stalker y grandit. S'il sait oublier ses désirs, sa logique, il passera. Il pourra connaître la peur, le doute, la colère. Mais il passera. Le Stalker, c'est la soumission à son intuition, c'est quelqu'un dont le plus grand désir n'est pas caché dans la Chambre. Le jour où il ressemble à ses clients, il est perdu.
Le chien souvent guide l'homme. Mais ici, le chien est perdu. Veille-t-il sur ces lieux ? Que cherche-t-il, lui, quel serait son vœu ? Alors le chien trouve son guide, le guide par excellence.
L'homme de sciences ne peut discourir ni interpréter ce qui échappe encore à ses sciences. Le silence du Professeur hors de sa chaire... Alors il veut détruire, par peur d'un pouvoir incontrôlable.
L'homme de lettres ne se découvre pas de grande inspiration face à ce débordement d'inspiration. L'incapacité au rêve du rêveur hors de ses histoires... Alors, il devient homme de doute, et ne veut pas croire à ce pouvoir.
Et au milieu le Stalker. Qu'importe la foi, qu'importe la vérité. C'est ici qu'il s'est découvert, ici qu'il peut enfin œuvrer pour l'humanité, et pour lui. Ici qu'il a trouvé quelque chose qui transcende son existence et les malheurs de sa vie. Son souhait n'a pas besoin de la Chambre. Son véritable vœu s'est exaucé tout autour.
Un guide n'est-il pas le seul à trouver ce qu'il cherche dans les contrées aimées qu'il fait visiter ?
On pourrait remonter le fil de cette histoire en plein milieu du récit, en découvrir des éléments encore inconnus immergés dans le fil d'un cours d'eau mystérieux qu'on remonte. Quand on rêve dans cette Zone hors du monde, on rêve hors du temps. Dormir, rêver peut-être. Remonter à la source et dévaler une cascade...
Le Hachoir, ce n'est rien. C'est l'anti-épreuve par excellence, où il n'y a rien à faire, et pourtant l'épreuve ultime. Révéler la nature de ses peurs, peut-être. Toujours avancer, ne pas vouloir comprendre. Avoir confiance dans le bout du chemin. Ne regarder en arrière que quelques instants, pour se rappeler d'où l'on vient, mais toujours poursuivre plus loin. Cesser ses questions, faire enfin silence sur l'endroit.
Le Hachoir broie des illusions, peut-être. On y ressort moins convaincu par le but du voyage, on perd son chemin dans des petites dunes claires.
Le Hachoir semble effacer le chemin d'avant. Il semble être finalement la seule véritable petite portion de chemin, la seule voie vers un possible. Pourtant, il n'est rien, rien qu'un modeste égout, et il ne mène à rien. Le Hachoir, c'est un tout. Le Hachoir, ce n'est rien. Dans une Zone touchée par la grâce au coeur d'un monde qui semble sombrer, le Hachoir est un endroit touché par l'absence au coeur d'une Zone où rien ne semble être.
Alors il faut accepter d'être passé à côté du voyage, il faut regretter la perte de foi dans le merveilleux de ses clients, et les ramener de l'autre côté. Encore une fois, seul le Stalker a vu, seul le Stalker a cru. Ils auront changé, ils auront vibré, ils auront entraperçu. Mais ils auront manqué quelque chose, la part de rêve inaccessible. Peut-on changer les autres, même en leur montrant le chemin ? Obsession du guide, du montreur de chemin, déception du guide. Peut-on changer soi-même ?
Voilà que le merveilleux déborde sur l'autre monde, comme une bulle crevée par le départ du chien vers l'hors-Zone. Les couleurs habillent les tons passés, par petites touches. L'épouse inquiète peut s'ouvrir directement au spectateur, audace documentaire pas même esquissée dans la Zone. Comment rester debout dans la tempête sur son foyer, ou les insoupçonnables vertus du malheur sur le goût ravivé du bonheur...
Et enfin, l'être immobilisé qui peut mobiliser son esprit pour faire bouger le monde qui l'entoure, et donner vie à l'inerte, quitte à le briser.
Stalker, c'est un triomphe sur la narration du merveilleux, sur la science-fiction. C'est le triomphe du décor de théâtre sur le cinéma. Le triomphe de l'image brute sur la symbolique. Le triomphe de l'inconscient sur la peur. Le triomphe de la confusion.