Tout comme est incertain le temps de la rupture d'axe où la lumière s'éteint, ce film de Tarkovski redit l'indéchiffrable vérité de ce que le cinéaste écrit de l'homme. Par jeu de quilles, l'acteur Alexandre Kaidanovski, formidable de shakespearien et de peut-être renoirien, dit au creux du possible le bois dont nous construisons nos vies. A la triste écume de nos êtres, l'actrice Natasha Abramova récolte les murmures assourdies de nos devenirs abolis. Obscurs nutriments, mâchés, avalés, recrachés et offerts en pain de notre consolation de spectateur. Ainsi, nous prévient Stalker, l'avenir de l’œil est responsable du présent de son regard, comme le cinéma, aguerri à la surface de l'écran, creuse le verbe sans jamais le transpercer. On songe aux noirs disloqués d'un Bertolucci sous lithium, à la beauté latérale d'une Garbo de station Shell, à la souciance d'un Einstein s'épuisant à filmer l'invisible. En nous, la sentinelle citoyenne et son enfant, la vigilance, veillent sans hâte. Nos arcs de triomphe ne seront-ils pas toujours des défaites aux yeux des sans-combat ?
Oui, Stalker se dérobe au regard, comme l'insaisissable vérité.