La magie évanouie de Tarkovsky

Stalker fut un des meilleurs films du monde, et le redeviendra vraisemblablement. Pourquoi est-ce que j'emploie passé simple et futur au lieu du présent? Sans doute en raison d'un désarroi personnel. Andrei Tarkovsky reste un des plus grands cinéastes du XXe siècle: "Andrei Roublev", "L'enfance d'Ivan", "Solaris"... sont des films admirables. Et "Stalker" les a largement surpassés à sa sortie. Lorsque je l'ai vu pour la première fois, jeune ado, j'ai été complètement soufflée, secouée, retournée. "Stalker" est un film comme on en voit (trop) rarement, une magie de l'image et d'un désespoir narratif qui refuse d'abandonner une partie pourtant bien mal engagée, surtout dans le contexte soviétique de l'époque. Des semaines m'ont été nécessaires pour l'intégrer, dissoudre ses éléments dans mon esprit, ingérer sa beauté rudérale. Et pourtant, quand je l'ai revu, des années plus tard, j'ai été un peu "déçue", il m'a fallu des efforts pour rentrer dans le film. J'ai eu aussi besoin de temps pour comprendre le "pourquoi" de cette relative "déception". En réalité, c'était moi qui avait changé. Ou, plus exactement, le cinéma "américain" m'avait changée. A force de voir des films au montage hyper-serré et rapide, je peinai à accepter un rythme lent, parfois ralenti même. La beauté et la magie de Tarkovsky étaient toujours là, mais ma capacité à les voir s'était évanouie. J'avais besoin de réapprendre la lenteur, la subtilité, l'allusif, comme un corps trop soumis aux antibiotiques qui serait devenu incapable de réagir à l'homéopathie. Et puis, récemment, j'ai vu que Stalker avait enfanté un jeu vidéo où la "zone" prenait la forme de Tchernobyl. Le mystère de cet espace hors de l'humain avait trouvé son avatar techno-scientifique contemporain. Alors, j'ai compris que Stalker allait redevenir un film merveilleux, plus forcément pour moi, mais pour les générations à venir, celles qui vont abandonner le fast-food et le fast-cinéma et qui prendront le temps de réapprendre à voir.
LaureB
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le 26 mai 2011

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