Être une star en Russie : c’est quoi ? On voit à peu près ce que ça représente aux États-Unis qui leur servent de modèle, mais copier un système & avoir la même sorte de fabrique d’idoles sous forme de circuit fermé, ça donne quoi ? Oui, un circuit fermé, car le cinéma russe n’a pas de grands débouchés à l’internationale, & Mosfilm est, pour un regard extérieur, un substitut froid & frustrant à Hollywood, voire une fin en soi. Pourtant, pour les starlettes comme celles dont Melikian a fait ses personnages, la gloire est presque tout ce qui existe, donc c’est juste un sommet & un objectif.
Ce n’est pas tant un paradoxe que ça – ou alors la réalisatrice a usé de toute sa force de persuasion dans ce sens. Le monde qu’elle met en scène est vide, trop vide pour le plaisir des sens, même si sa Moscou est vivante comme elle l’a rarement été à l’écran. Le malaise naît de ce vide & de la superficialité qui le maquille, transformant non seulement le monde des stars en paradis de l’artificialité, mais avec lui celui des riches & finalement toute la ville & ses grands espaces muets.
Dans ce paradis, la seule direction envisageable, c’est le haut : toujours monter, tout faire pour, quitte à totalement perdre de vue qu’être célèbre, c’est signifier quelque chose pour tous les autres & plus rien pour soi-même. Le public, d’ailleurs, où est-il ? On ne le voit pas à travers l’objectif des journalistes, ni quand les stars monopolisent le tapis rouge, ni quand on est dessus soi-même.
Cependant, l’artificiel est lui aussi vaste & muet chez Melikian : il apparaît sous ses caméras comme un objet surréaliste & sans vie, qu’il est certes nécessaire de représenter & de percevoir comme aseptisé, mais duquel il ne transparaît rien – surtout pas le courant presque transhumaniste, qu’on est condamné à deviner, qui alimente le culte de la beauté physique & les vices de l’âme engendrés par lui.
L’œuvre essaye plutôt de situer son mérite dans l’exploration du vide, qui est si large que l’ascension (sociale, bien entendu) se fait en son sein sans qu’on s’en rende compte, par manque de repères, grâce au pouvoir totalement fade de l’argent & dans le bonheur dogmatique qu’il y a à faire ce qu’il faut pour ne pas laisser faner son espoir d’ “autre chose” – une chose qui n’est pas nommée, car on se voile la face pour ne pas réaliser que tout est dans l’ascension, qu’être au sommet n’est finalement synonyme que d’une accession à l’absolu en matière de superficiel & de frivole – une récompense grinçante & d’un blanc désespérément uni.
Dévoiler le mystère de Star, c’est une tâche qui est confiée entière au spectateur & elle consistera à trouver qui, parmi tous ces fantômes d’un morne capitalisme, participe au système pour les bonnes raisons, pour des raisons propres. Quelle femme, derrière quel masque à ras de la personnalité, agit-elle pour elle-même & non pour seulement donner l’impression qu’elle le fait, puisqu’elle est supposément obligée de composer avec les contraintes que lui impose un monde qu’elle n’a pas choisi ?
Star est trop brut pour que l’épluchage de son sens profond soit accessible ou plaisant. On sent qu’il crée une classe sociale indécise, celle des “montants”, des semi-mondains qui vivent parmi la plèbe, aspirant à la quitter, faisant vivre les grands de ce monde dans leurs efforts pour les rejoindre, mais rien ne parle. Se destinant longtemps à l’avance à une fin qui ne servira que de porte de sortie, le film s’enterre dans les bas-fonds de l’épanouissement humain avec une ancre plus lourde que nécessaire.
→ Quantième Art