Catastrophe industrielle au pays de la continuité rétroactive

Se rendre à la projection de L’Ascension de Skywalker s’apparente à de la curiosité perverse. Une curiosité comparable à celle de l’automobiliste qui ralentit sur la route pour tenter d’apercevoir les dégâts humains et matériels lorsqu’il passe à côté d’un accident. Ceux qui nous ont lus il y a deux ans lorsque nous sortions de la salle des Derniers Jedi le savent : nous n’avions plus aucune attente concernant cette trilogie (voire cette saga tant qu’elle sera dirigée par Kathleen Kennedy). Après un tel exercice de déconstruction nihiliste, il était tout bonnement impossible de conclure correctement ce nouvel arc. Tout au plus, nous pouvions espérer assister à un film correctement troussé et assurant le strict minimum en termes d’écriture. Le problème est que même en faisant abstraction de ce que ce film est censé être — le IXe épisode d’une des plus grandes sagas de l’histoire du cinéma —, L’Ascension de Skywalker ne parvient pas à être un bon blockbuster et encore moins un bon film. En un mot comme en mille, le résultat est indigent.


Attention, le texte qui suit révèle des points clés de l’intrigue pour autant que nous puissions parler d’intrigue.


Lire la critique ici.


Il y a deux ans, nous concluions notre critique de l’Épisode VIII par ces mots :



Au final, tout semble indiquer que la saga Star Wars est devenue une
entreprise purement commerciale qui répond désormais aux réactions du
public comme une courbe financière aux décisions des actionnaires. «
Vous avez reproché son mimétisme au Réveil de la Force ? Attendez, on
va corriger le tir. » Cette nouvelle trilogie progresse ainsi de
manière hystérétique, trahissant une absence totale de vision
artistique sur le long terme de la part de Disney.



Force est de constater que l’épisode IX ne fait que nous donner raison. Au point que nous pouvons aujourd’hui compléter : « Vous avez reproché l’impertinence, la trahison stérile des figures mythiques de la saga et l’humour bêtement parodique des Derniers Jedi ? Attendez, on va corriger le tir. » Ainsi, le dernier épisode de cette 3e trilogie s’apparente à la vaine tentative de faire oublier l’accident industriel signé Rian Johnson et d’éviter un naufrage pourtant garanti. Témoin du comportement détraqué de Disney et de Kathleen Kennedy, cette conclusion démontre explicitement l’absence de vue artistique à moyen terme et de capacité à saisir de manière cohérente un des univers les plus facilement appropriables. Si cette nouvelle trilogie a été lancée il y a quatre ans, ce n’est pas parce qu’un auteur avait quelque chose à raconter, c’est parce qu’il y avait un filon à exploiter et la possibilité d’adapter une franchise aux obsessions politiques du moment. C’est à peu près pour les mêmes raisons qu’elle se termine aujourd’hui : pour honorer une date annoncée dans le grand calendrier des sorties du studio.


Ainsi, passons sur la puérilité et le ridicule de la tentative de J.J. Abrams de remettre les pendules à l’heure après le grand dérèglement opéré par Rian Johnson. Comment ne pas être atterré par la réplique de Luke lorsqu’il rattrape le sabre que tente de jeter Rey dans un geste d’énervement adolescent : « les armes Jedi méritent plus de respect » ? Le même Luke qui jetait son sabre comme on jette une peau de banane par-dessus notre épaule en ouverture de l’épisode précédent. Quant à Ren, il décide finalement de ressouder le masque qu’il avait détruit, sans que rien ne justifie ce nouveau revirement. Ces simples exemples donnent une idée du niveau atterrant de cette tentative de corriger les méfaits passés. Le tout dans un film qui prêche, dans un ultime deus ex machina, pour une solidarité capable de venir à bout de n’importe quel ennemi. On se pince !


Outre ces règlements de compte, c’est la pauvreté extrême du spectacle et surtout les innombrables problèmes d’écriture qui font de ce film une véritable catastrophe. Le générique défilant d’ouverture nous annonce que « les morts parlent ». L’Empereur Palpatine est à nouveau en vie ! Sans parler du fait que ce retour prive rétroactivement le sacrifice de Vador dans Le Retour du Jedi de son sens et de sa beauté, l’accueil de cette nouvelle par les protagonistes est délirant. Acceptant la chose comme si elle allait de soi, tout le monde se met donc en quête d’un GPS Sith pour trouver la tanière de Palpatine. C’est là que la ridicule course au MacGuffin commence. Le qualificatif est trop sévère ? Jugez plutôt : on commence d’abord par courir derrière la trace d’un loyaliste Sith qui possédait une dague indiquant l’emplacement du fameux GPS (après le MacGuffin, le MacGuffin au carré). Une fois celle-ci trouvée, l’inscription de la fameuse dague ne peut être traduite par C3PO, son système lui interdisant de prononcer le sith (et personne n’a l’idée de lui demander d’entrer les coordonnées du lieu désigné dans le vaisseau sans traduire l’inscription). Il faut donc reprogrammer le droïde afin qu’il puisse traduire le sith. Problème : les seules personnes en mesure d’effectuer la reprogrammation se trouvent être des anciens camarades de Poe, qui veulent sa mort depuis… depuis on ne sait pas trop quoi. Ce n’est pas un problème, puisque deux secondes après l’avoir mis en joue, l’ancienne amie de Poe accepte de l’aider… une nouvelle fois sans que rien ne justifie ce revirement. Les informations tombent du ciel, les laissez-passer qui ouvrent toutes les portes au sein du Premier Ordre se transmettent comme des pin’s et des flottes de Star Destroyers sortent du néant. Ne cherchez pas, absolument rien n’est justifié et encore moins expliqué. Au final, les trois-quarts du film n’ont littéralement pas d’autres enjeux que celui de courir après des objets vides de sens.


L’entier du récit fonctionne ainsi à coups de deus ex machina. Il fallait que la Résistance obtienne une information sur l’emplacement de Palpatine ? Inutile de se fatiguer, il suffit de postuler l’existence d’un espion au sein du Premier Ordre. Problème : aucun des deux films précédents n’avait pris le soin de développer un personnage en vue de cette révélation. Le Général Hux étant la seule figure identifiable du Premier Ordre, ce sera forcément lui. Le ridicule de sa révélation est ainsi décuplé par la caricature que représentaient ses discours fascistoïdes éructés devant ses armées dans l’Épisode VII. Cela n’est absolument pas cohérent ? Et alors ?! Le personnage ne sert désormais plus à rien ? Il ne reste plus qu’à l’éliminer sans que cela impacte le reste du récit ou l’organisation du Premier Ordre.


Nous nous retrouvons dès lors devant une brochette de personnages qui parlent et agissent sans que jamais cela n’ait le moindre sens. Hux est un traître ? Ce serait au moins l’occasion de nous en apprendre plus sur le personnage. On se dit que son geste s’explique certainement par une motivation idéologique ou au moins un tant soit peu de consistance. Non, il trahit par simple aversion et jalousie envers Kylo Ren. Le règlement de comptes puéril entre J.J. Abrams et Rian Johnson a son équivalent diégétique. Dernier exemple : Rey ne s’estime pas digne du sabre de Luke et le confie à Leia ? Pas grave, cette dernière le lui rendra deux minutes plus tard sans que rien n’explique que Rey l’accepte désormais. Il faut croire qu’après Batman v Superman et Justice League, Chris Terrio était motivé par l’idée de repousser les limites de l’écriture scandaleuse. Toutes les décisions potentiellement osées sont instantanément annulées par le script : Rey tue Kylo Ren ? Elle le soigne et le ressuscite dans la foulée ! C3PO a perdu l’intégralité de sa mémoire ? R2D2 a une sauvegarde ! Chewbacca est tué ? Mais non il a été transféré dans un vaisseau que personne n’a jamais vu !


Star Wars Episode IX est à l’image d’une poule qu’on aurait décapitée et qui continuerait de courir dans tous les sens. Un film malade, abusant de la continuité rétroactive pour tenter de récoler les morceaux. Il s’impose comme le meilleur témoin d’une logique commerciale dégénérée. Et lorsque l’on apprend que tout le monde peut devenir un Skywalker parce qu’il suffit d’y croire et de le dire — syndrome ultime de la postmodernité —, on espère simplement voir notre mémoire rebootée par Babu.

Cygurd
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le 26 déc. 2019

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Film Exposure

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