En reprenant sans ellipse là où s'était arrêté le film précédent, Rian Johnson annonce la couleur: d'une part, il nous plonge dans l'urgence, un sentiment qui ne nous quitte plus durant tout le film tant il déploie ses qualités de film d'aventures, bourré de suspens et de péripéties. Et j'avoue avoir été séduit par cette intensité, cette expérience augmentée de l'univers Star Wars, baladé entre les combats de la Résistance et les face à face des Jedi avec leurs ennemis, faisant côtoyer avec virtuosité le spectaculaire et l'intériorité.
D'autre part il bouscule nos attentes, car il n'exploite pas certaines pistes que l'on espérait voir développées. Des questions laissées en suspens dans l'épisode 7 qui ont été, sans doute comme aucun autre épisode auparavant, à l'origine de fantasmes et de théories innombrables développées notamment par des fans Youtubeurs. De fait, l'histoire semblait presque déjà écrite, aurait pu-t-on penser, puisque il suffisait d'appliquer un schéma narratif, quelques connaissances sur l'univers étendu et l'on avait là des pistes crédibles, à même de satisfaire les fans. Presque un dû, au vu des mystères exposés précédemment.
Or, tout comme le Réveil de la Force (qui avait fait de Han Solo un contrebandier et non un héros de la Rébellion et de Luke une légende presque oubliée plutôt que le nouveau chef de file d'un ordre Jedi en pleine renaissance, suite logique du Retour du Jedi), Les Derniers Jedi surprend en balayant d'un revers de la main les attentes provoquées (les origines de Rey et Snoke notamment) et fait table rase du passé en faisant disparaître les personnages liés aux événements antérieurs (Luke et Snoke), comme pour se décharger enfin du poids d'un héritage, d'un mythe devenu un fardeau, celui de la trilogie originelle, pour permettre à la nouvelle génération d'exister. A titre d'exemple, Snoke demeure un mystère (Palpatine ne demeurait pas moins une énigme dans le Retour du Jedi, ce qui ne choque personne aujourd'hui), mais sa mort laisse Kylo Ren devant ses propres choix et responsabilités, et n'est donc plus le jouet d'un dilemme qui aurait alors semblé trop similaire aux films d'origine.
Je comprend la déception des fans, mais n'aurait-on pas reproché alors à Disney de rien faire de nouveau et de vouloir contenter les puristes? A la place des auteurs, n'aurions-nous pas eu envie de prendre à contre-pied toutes ces théories, et de s'approprier le matériau? Il est vrai qu'en terme de Set up / Pay off, le film semble ne pas emboîter immédiatement le pas au film d'Abrams, d'où ce sentiment de frustration, voire de trahison, mais ils ont simplement fait des choix qui se concentrent sur les personnages, d'avantage que sur le contexte ou l'extension de cet univers.
J'ai le sentiment qu'aucune solution n'aurait satisfait la majorité du public et des fans, et il est bien possible que, selon l'orientation de l'épisode 9 (à savoir revenir ou pas sur les mystères énoncés, sorte de désaveu de l'épisode 8), Les Derniers Jedi devienne la clé de voûte de cette trilogie ou bien le vilain petit canard de la saga, ce qui selon moi serait très dommage.
Personnellement j'ai trouvé qu'il ne donnait pas exactement ce à quoi je m'attendais, mais ce que je désirais malgré tout, à savoir une tonne de moments ébouriffants et d'éléments purement jouissifs, comme les scènes de combats spatiaux qui font vraiment ressentir l'adrénaline de cette tête brûlée de Poe Dameron; l'esprit en ruines de Luke, ce maître inachevé, qui ne peut plus supporter le poids du rôle de sauveur et l'échec dans la formation de Ben Solo, le conduisant au bord d'un acte innommable; la lueur d'espoir que représente Rey, devant la noirceur de Kylo Ren et l'abandon - momentané - de Luke à la cause des rebelles; ce très beau moment où Leïa échappe à la mort, redonnant cet aspect magique et incroyable à la Force; les retrouvailles émouvantes de Luke avec R2 puis sa soeur; et bien d'autres scènes encore.
Ce que je retiens donc ce ne sont pas les origines de tel ou tel personnage, ou la situation géopolitique de la Résistance et du Premier Ordre, mais l'intensité de ces instants vécus par et avec ces personnages, brillamment incarnés par un casting sans fausse note, dans une aventure épique, héroïque et touchante. Un film dont je pardonne les choix scénaristiques parfois inconséquents narrativement, mais qui a le mérite, plus encore qu'avec Le Réveil de la Force, de m'avoir entraîné dans cette très lointaine galaxie avec exaltation et fascination.
Mon avis sur Le Réveil de la Force