Que faire de sa vie, si l’on ne se tracasse pas de savoir s’il y aura à manger sur la table lorsqu’on rentrera du boulot ? Que faire de sa vie si l’on est doué pour écrire des comédies à succès, mais qu’on veut réaliser des films en noir et blanc sur des sujets graves, des films dont tout le monde se fout, d’après les financiers ? Que faire de sa vie quand on sait que tout ce qu’on crée sera détruit, un jour ou l’autre, lorsque l’univers implosera ? Pourquoi s’ennuyer à réaliser des films ?
Telles sont les questions existentielles que se pose Sandy Bates, alias Woody Allen, dans ce film en noir et blanc. Le cinéaste new-yorkais, le vrai, signe un film référence à son parcours, tout comme Fellini l’avait si bien fait avant lui dans son Huit et demi, en 1963. Allen fut très vite populaire grâce à ses sketchs et ses comédies, dans les années 60, avant de combiner succès public et critique avec Annie Hall et ses quatre oscars, en 1977. Il réalisa ensuite Interiors, son film "bergmanien", avant d'enchaîner avec Manhattan et Stardust Memories, trois films "sérieux" en noir et blanc, avant de revenir à la comédie en couleur.
Dans une ville au bord de mer, le cinéaste Sandy Bates tente de fuir l’excitation des producteurs et des responsables de sa communication, et se rend à une rétrospective de ses œuvres. Il se retrouve sous le regard inquisiteur de ses fans. «Nous avons vu tous vos films», «J’adore ce que vous faites» «Vous faites de la merde», tous les commentaires sont accueillis avec bienveillance, même s’il ne sait plus quoi en faire.
Heureusement, l'homme en plein doute peut se reposer sur des femmes, des amantes, leur parler, les embrasser, les aimer. C’est à ces moments précis que le cinéaste semble le plus apaisé, vivre l’instant présent. Ces instants de grâce ne durent cependant pas. Ici aussi, le questionnement est de mise. Adorer celle-ci, pour son côté animal, instinctif tout en souhaitant partager du temps avec celle-là, d’une intelligence folle. Qui aimer, et comment ne pas tomber amoureux d’une autre ?
Les pensées du cinéaste épousent cette musique jazz typique de son oeuvre composant la bande musicale du film. Woody Allen nous embarque avec mélancolie dans son égo-trip d’artiste torturé : des souvenirs d’enfant roux faisant déjà le pitre pour amuser la galerie, des baisers mouillés de cinéma, sous une pluie artificielle, des femmes qu’il chérit. Stardust Memories brasse cette inconstance des sentiments entre humains, et même extraterrestes. Quand Sandy Bates rencontre les martiens, eux non plus, à part partager leur goût pour ses premiers films comiques, n’ont pas de réponses à lui donner :
« Pourquoi souffrons-nous autant ? Comment puis-je être utile ? Il faut que je trouve un sens ! »
« On aime vos films comiques. Continuez à raconter des blagues », voilà ce qu’on lui répond.