Visionnaire pour les uns, PDG tyrannique pour d'autres, Steve Jobs, on l'aime ou on le déteste. Mais ce qui est certain, c'est qu'il méritait qu'on s'y intéresse au cinéma, si possible via un portrait complexe et sans propagande pro-Apple. Trois ans après une première tentative (un peu ratée) de biopic avec Ashton Kutcher, Universal se lance dans un projet beaucoup plus enthousiasmant, réunissant toute la fine fleur de la production audiovisuelle actuelle.
La première raison pour laquelle vous devez absolument voir ce film se nomme Aaron Sorkin, scénariste de renom auquel nous devons l'excellent The Social Network et qui prouve une nouvelle fois avec Steve Jobs (Golden Globe du meilleur scénario) qu'il est l'un des meilleurs dialoguistes à Hollywood. Via une subtile construction narrative en trois parties entrecoupées d'habiles flashbacks alternés, le fondateur d'Apple nous est présenté dans les minutes qui précèdent le lancement de plusieurs de ses ordinateurs, un choix plutôt original donc. Avant chacune de ses conférences, l'homme est sans cesse en conflit avec collègues et ex-collègues, ou encore avec son ex-femme et sa propre fille (dont il aura renié la paternité pendant des années), se livrant souvent à de jouissives joutes verbales, car la patte Sorkin, c'est avant tout un art des punchlines, des répliques qui tuent, s'enchaînant à une vitesse hallucinante, et ce sans jamais perdre le spectateur.
Et pour chorégraphier tout cela, qui de mieux que le toujours aussi énergique Danny Boyle ! Certes, dans la filmographie du cinéaste (Trainspotting, Sunshine, Slumdog Millionaire, pour citer ses chefs-d’œuvre), Steve Jobs pourrait paraître un peu trop sage, voire classique, mais on relève tout de même quelques effets et cadrages notables : des gros plans vraiment très gros, des plans d'ensemble vraiment très beaux, des couleurs chatoyantes, des murs qui s'animent, un montage très pêchu, des changements de format (pellicules 16 et 35mm, puis numérique) en fonction des époques... Et puis il y a cette caméra toujours en mouvent, suivant un Jobs en ébullition, jamais capable de rester en place. Bref, par le biais d'une mise en scène extrêmement dynamique (et d'une musique entraînante signée Daniel Pemberton), Boyle réussit l'exploit de nous intéresser pendant deux heures à ces personnages excessivement bavards.
D'ailleurs, chaque personnage est passionnant à suivre et ces derniers sont interprétés par un casting aux petits ognons (réforme orthographique oblige), à commencer par un Michael Fassbender épatant, réussissant à incarner Steve Jobs dans toute sa complexité, c'est-à-dire terriblement perfectionniste, brillant pour les affaires, mais peu doué pour les relations humaines. Les rôles secondaires ne sont pas en reste : Kate Winslet n'a pas démérité son Golden Globe et Jeff Daniels fait preuve de beaucoup de charisme, mais la révélation du film n'est autre que Seth Rogen, habituellement abonné aux rôles comiques, qui est ici plus que crédible dans la peau de Steve Wozniak, cofondateur d’Apple tentant désespérément d'arracher à son ancien ami un simple mot de reconnaissance envers ceux qui l’ont accompagné à ses débuts.
Le nouveau long-métrage de Danny Boyle est en conclusion une belle réussite. Sans être aussi virtuose que The Social Network en termes de réalisation et d'écriture (on peut notamment reprocher à Steve Jobs son côté répétitif), le film sait tout de même être prenant du début à la fin et, comme on s'y attendait avec de tels noms sur l'affiche, parvient à se démarquer dans le paysage si académique du biopic contemporain.
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