Ce film est l'exemple parfait du film américain grand public d'aujourd'hui : biopic sur un homme très connu; acteurs, scénariste et réalisateur oscarisés (ou en phase de l'être); thème parfait pour l'Academy; dramatisation maximale du sujet...
C'est pourquoi je suis content d'avoir pu le voir au cinéma : en effet, le dernier Boyle, avec tous ses défauts, est une magnifique preuve du blocage Hollywoodien actuel. Le fait que le réalisateur est un abonné aux Oscars depuis son pire film n'est pas sans importance. Slumdog Millionaire , à des années-lumières de ses excellents Sunshine et 28 Jours Plus Tard, l'avait consacré comme l'un des nouveaux faiseurs d'or du cinéma américain (bien que Britannique). En le mettant sur ce projet bien concocté par Sorkin, l'écrivain censé être aride et dénué de sentiments superflus pour aller au coeur du sujet (piège!), la recette était donc parfaite : avec Fassbender (un des meilleurs de cette décennie) et Winslet, ce film devait être nommé aux Oscars et en remportera sans doute quelques uns. Ce qui est malheureusement tout ce qui compte, à la fin, pour ce genre de projets.
On le voit bien, ce n'est pas un film bête, comme les m***** que nous pond Tom Hooper à chaque fois qu'il se prend au métier de réalisateur. Non, Steve Jobs est, formellement comme sur le fond, plein de bonnes idées. Tout d'abord, le fait de se baser sur trois moments charnières de la vie du businessman (et quelques flash-backs) est original et bienvenu, permettant un réel développement de chaque séquence et évitant le scénario lambda du biopic (naissance, jeunesse, blablabla, zzzzzz...). Le fait de changer le format (pellicule, numérique) pour chaque époque est également appréciable, car ce n'a pas un grand impact mais permet une immersion plus profonde, le cinéma étant, après tout, un médium visuel (et le 16mm est beau, damn!). Enfin, la mise en scène de Boyle est recherchée, ce dernier se centrant presque exclusivement sur Fassbender qui illumine ce long-métrage. Sans notre cher Michael, il est évident que le film n'aurait plus grand intérêt, la hargne et la nervosité étant très prégnantes chez cet acteur.
Sur le fond, aussi, il faut reconnaître la louabilité de l'effort. Sorkin se centre sur Steve Jobs et ce qu'on a entendu souvent à propos de ce personnage : son tempérament et son talent. Excellent businessman qui réussit à vendre quelque chose que la planète n'avait pas demandé si tôt, bien qu'ayant souffert beaucoup d'échecs, Jobs nous est montré comme quelqu'un qui sait très bien ce qu'il veut et fait, et ne lâchera rien pour arriver à ses fins. Jusque là, rien de nouveau. Mais la subtilité du jeu de Fassbender et des relations qu'il entretient avec ses pairs est intéressante : notamment sa relation avec son compagnon de toujours Steve Wozniak, qui tout au long du film ne cessera de lui demander le peu de respect qu'il se sent être en droit de recevoir de sa part. Jobs est donc névrosé, pas seulement sûr de lui : il doit être à la base et à la finition de sa propre réussite, les gens participant à ses projets n'étant en fait que des pions (même le personnage joué par Winslet, à qui il cache sa supercherie NEXT pendant 3 ans).
Cependant, et c'est là la preuve que ce film n'est pas un grand film : malgré toutes les pistes tracées pendant le film, notamment celle qui dit clairement que Steve Jobs n'est en fait qu'un connard, Sorkin et Boyle ne vont pas jusqu'au bout, car cela ne serait pas bien vu. La relation avec sa fille sera donc utilisée pour dramatiser quelque chose qui n'avait pas besoin de l'être (tout comme le rôle de Jeff Daniels, que je n'arrive décidément pas à apprécier). Malgré quelques subtilités lorsqu'elle est petite, on peut sentir arriver à pas d'éléphant cette fin mielleuse qui détruit tout ce qui a été construit pendant 1h45 : le dernier quart d'heure se concentre presque exclusivement sur l'obligation de Jobs de renouer avec sa fille (le personnage de Winslet étant donc utilisé surtout pour ça, ce que je trouve affreux!), sinon il sera vraiment un connard. Et bien que l'on ait compris que cet homme était perclus de défauts et fou de pouvoir et de contrôle, ce film tend à atténuer tout cela en montrant que, en fin de compte, il n'est pas un si mauvais père, et on peut lui excuser tout cela.
C'est donc là tout ce qui ne va pas à Hollywood qui ressort de manière tonitruante : une bonne idée, des bons acteurs, un bon réalisateur (du moins, il y a pire), mais tout est toujours sacrifié au nom de l'histoire, qui doit suivre un certain schéma. Ce qui compte est de plaire le plus possible au public, au client, et non d'être totalement honnête. C'est un comble, étant donné ce que dit Jobs dans le film : lui qui était contre l'idée qu'il faut produire des produits qui plaisent au client car on peut créer des nouveaux besoins, se retrouve dans un film qui ne veut que ça : plaire au plus grand nombre.