Je vous avoue que la vie de Steve Jobs m'est aussi inconnue que l'histoire d'Apple. Leurs produits ne m'ont jamais intéressé et c'est tout juste si je sais que le bonhomme n'était pas réputé pour son amabilité. Aussi serais-je bien incapable de dire si le film contient des éléments trop connus pour être intéressants ou si ses inventions sont susceptibles de faire bondir les fervents défenseurs de la vérité vraie. Mais je sais que ces derniers auront bien des moulins à combattre : le film n'a aucune intention de servir de documentaire ni d'être historiquement vrai. Il a vocation à être un film, avec des personnages écrits, une histoire écrite, des répliques inventées et des scènes servant la dramatisation. Si vous voulez la vérité, lisez des articles ou matez un documentaire. Ne matez pas un film, c'est du faux de base. On a une histoire, un scénario, le tout basé sur de vrais évènements, et on n'a même pas besoin de se farcir un carton de fin pour nous dire ce que sont devenus les personnages. Si cela ne vous convient pas, inutile de regarder le film.
Steve Jobs a une curieuse construction. Il ne se déroule que durant les demi-heures précédant la présentation de 3 hardwares de Jobs : le Macintosh, le Black Cube et l'iMac. Ce sont autant de séquences de branle-bas de combat avec un courant qui passe mal entre un Jobs autoritaire et insupportable et son équipe sous pression. Au-delà de cette tension palpable, c'est lors de ces préparations que toute l'histoire de Steve va nous être dévoilée, de sa relation avec sa fille biologique reniée à ses déboires avec les dirigeants d'Apple. Tout ça juste avant une préparation demandant pourtant toute sa concentration. C'est évidemment assez forcé, mais c'était inévitable étant donné ce cadre. C'est surtout assez fourre-tout car on passe du coq à l'âne sans trop sentir les transitions, flouées par ces échanges de répliques qui fusent sans toujours nous laisser le temps de souffler. On se retrouve plus d'une fois à ne pas se rappeler comment la conversation a démarré et on enchaîne les sujets de conversation avec un petit manque de clarté.
Et pourtant il m'est difficile de dire si c'est un vrai défaut, car cette construction étrange paraît être le reflet de ce qu'il se passe dans la tête de Jobs. On le voit qui veut en mettre plein la vue aux clients sans trop leur laisser le temps d'assimiler les informations, on voit ses équipes qui croulent sous ses demandes déraisonnables. On voit la façon dont sa vie professionnelle et sa "vie" familiale se gênent mutuellement, on voit toutes ses idées qui s'enchaînent sans qu'il ne se calme. Situer l'action juste avant ses présentations permet d'ajouter une pression supplémentaire sur les épaules de tout le monde et contribue à dynamiser l'action. Elle montre le côté "ruche" de cette entreprise où tout le monde s'agite, comme l'usage du plan-séquence de Birdman. Ce choix de narration me paraît donc assez sensé malgré les défauts que cela engendre, comme une petite lassitude lorsqu'on en vient à notre 3e présentation de produit Apple à préparer. Il faudra aussi s'accrocher, le rythme est au moins aussi épuisant à suivre que celui de The social network, du même scénariste.
Cette comparaison n'est pas anodine tant la similarité d'écriture se fait logiquement sentir. Vous en aurez des répliques acérées mitraillées par les protagonistes. Ces joutes verbales sont très inspirées et servies par des acteurs au top de leur forme. J'ai lu une critique se plaignant qu'elles ont le même problème que les vidéos Youtube : elles sont plaisantes sur le moment, mais les répliques n'ont pas le temps de s'enregistrer dans notre tête et on en sort aussi ignorant qu'on est entré, incapable de comprendre qu'on a juste assisté à du vide. Et je dois bien reconnaître que je suis loin d'avoir tout retenu du film. Je ne suis pas coutumier du fonctionnement de ce genre d'entreprise, aussi les manigances m'ont semblé un peu obscures. La relation entre Jobs et sa fille m'a parue également moins approfondie que prévue, mais elle demeure suffisamment présente pour saisir la complexité de la vie de cet homme ainsi que ses nombreux mauvais aspects. Bref, encore un peu de confusion. Mais pourtant je ne m'en plains pas, parce que j'ai l'assurance que lorsque je reverrai le film je le redécouvrirais. N'est-ce pas notre plus grand souhait ? Oublier un film qu'on a aimé pour le revoir avec un esprit vierge ?
Il y a de quoi me prendre pour un mouton, mais je n'ai pas apprécié le film juste pour son avalanche de bons mots. Ce stress lorsqu'une présentation n'est pas prête, je l'ai trouvé saisissant. Cette coexistence entre un sale type ingrat et ceux assez fous pour le suivre, elle m'a captivé. Ces visions sur ce que doivent être les ordinateurs, qui se confrontent sans prendre le dessus sur l'autre, elles m'ont intéressé. C'est un film trop compact pour être pleinement compris en un seul visionnage, mais un seul m'a suffit pour être sous le charme et pardonner au film son aspect pêle-mêle.