Steve Jobs est un film plutôt dans la retenue pour Danny Boyle, qui ces derniers temps était plutôt dans la surenchère du montage hystérique et clipesque et des couleurs tape à l’œil. Je ne sais pas ce qu'en aurait fait David Ficher (probablement mieux que ça, soyons honnêtes), mais il faut reconnaître que Boyle s'en sort bien pour mettre en scène les tunnels de dialogues qui composent le film, et c'est pas une mince affaire parce que Steve Jobs est bel et bien du cinéma et pas des champ-contrechamp, et qu'il arrive à nous les rendre intelligibles.
Je me contrefous vraiment de la vie de Steve Jobs, et je me contrefous aussi de savoir si c'est fidèle à la réalité (visiblement, pas plus que ça), on n'est pas là pour voir un réalisateur illustrer une fiche Wikipedia. Ce qui m'intéresse, c'est de voir des personnages évoluer, avec des enjeux narratifs, et si possible avec des vrais bouts de cinéma dedans. Ce qui est le cas ici.
Steve Jobs est un film-dispositif, composé de 3 actes de 40 minutes correspondant chacun aux minutes précédant la présentation à la presse d'un produit supervisé par Jobs (le Macintosh, le NeXT, et l'iMac) une série de collaborateurs et de proches viennent discuter avec Steve Jobs, régler des comptes, ou peaufiner le discours. On est clairement dans le film dispositif, car les mêmes personnages qui viennent tailler le bout de gras et jouer leur mini tragédie grecque à chaque lancement, a des années d'intervalle, ça sonne faux sur le papier. C'est d'autant plus visible que certaines personnes ne travaillaient plus pou lui aux dates présentées par le film. Et c'est évoqué avec humour dans les dialogues même - Jobs remarque que c'est comme si avant chaque lancement, tous ses proches se bourraient la gueule dans un bar proche et venaient régler leurs comptes avec lui. Ce dispositif (huis clos, mêmes personnages, époques différentes) permet de dresser en creux le portait du personnage en montrant son évolution et ses différentes réactions face à des problèmes similaires.
Le résultat est assez correct sans être grandiose. Danny Boyle réussit à rendre tout ça digeste et excitant. Le script de Aaron Sorkin est efficace, et comme toujours ses dialogues sont fascinants par leur rythme, leur enchaînement et leur densité , même si il a tendance à sur-signifier les références à la paternité avec une tendance psychanalyse de comptoir (Jobs refuse de reconnaître la paternité de sa fille, mais n'a aucun problème à s'approprier la paternité de projets technologiques, ce genre de trucs lourdingues). Mais ces dialogues ne seraient rien sans des acteurs exceptionnels, au sommet de leur art. Michael Fassbender, d'abord, qui fait vivre un personnage complexe, pas spécialement sympathique mais toujours intéressant, et Kate Winslet qui est vraiment fabuleuse. Elle réussit a être bonne même en rajoutant un accent polonais histoire de se rajouter du challenge. dans des rôles un peu plus secondaires, Seth Rogen fait le job en ami et ancien collaborateur blessé et Jeff Daniels en impose grave en CEO.
Sans être grandiose, c'est donc un film que je conseille plutôt, malgré Danny Boyle et un projet qui parait un peu sans intérêt sur le papier.