L'histoire, le récit, d'ailleurs très léger (celui qu'on soupçonne, dès les premières images, d'être un psychopathe, est un psychopathe) n' a pas grande importance - puisqu'il est assimilé, récupéré, transcendé par le traitement que lui impose Park Chan-Wook. La véritable histoire, c'est peut-être le traitement formel du film. Gratuit ?
Au début, il faut l'admettre, on a un peu peur.- même si le traitement esthétique du récit suffit à retenir l'attention. La continuité narrative est très décousue, à peu près incompréhensible, on n'accroche pas aux différents personnages, d'autant moins que l'histoire est très largement centrée sur celui de la fille / Mia Waikowska, une sorte de Camille Muffat autistique, un peu exaspérante à ce moment-là. Et l'on commence à redouter que le temps dure longtemps.
Puis tout s'accélère.
Un essai d'interprétation, qui en vaut bien d'autres - L'histoire pourrait pencher du côté de Cat people (le film de Jacques Tourneur, avec Simone Simon), ou plus encore vers son remake par paul Schrader (avec Nastassja Kinski et Malcolm Mc Dowell en frères et soeurs maudits); qu'on s'y arrête un instant :
- Charles Stoker / Matthew Goode (excellent) est isolé par sa famille dès son enfance, enfermé, entouré de médecins; il ne réapparaît qu'au moment de l'enterrement du père;
- il n'a jamais rencontré, jamais vu sa nièce; pourtant il lui écrit de multiples lettres où il lui affirme qu'elle fait partie des leurs; il lui envoie un singulier cadeau d'anniversaire (la clé qui lui permet d'avoir accès à ces lettres);
- dans le même temps, la famille (père, tante, pas la mère qui pense à autre chose) s'évertue à protéger la fille, à la tenir à distance de cet oncle embarrassant; on peut même penser que son entraînement intensif (et efficace !) à la chasse sur des petits volatiles n'a pour but que de la détourner de cibles moins innocentes
- leurs retrouvailles, après des premiers contacts difficiles pour le moins, sont scellées un soir de pleine lune (tiens le titre n'évoquerait-il pas le créateur de Dracula ?), qui s'achève comme chacun évidemment a pu l'appréhender, mais avec une grosse ambigüité : qui a tué ?
Et cette ambigüité se retrouve génialement dans la conclusion du film.
(Danger spoil) . Au moment d'assassiner sauvagement la mère, Charles / Matthew Goode appelle sa nièce; elle arrive avec son arme et ... elle le tue :
- pour sauver sa mère, parce qu'elle est devenue femme et rentre enfin dans le monde des humains ?
- parce qu'elle n'a plus besoin de son mentor, parce qu'elle peut désormais voler et tuer de ses propres ailes, dans leur monde à eux ?
Le sort du policier qui tente de l'intercepter, pour le moins cruel (et jouissif) apporte sans doute l'ultime réponse - celle qui clôt une initiation achevée, dans laquelle le fétichisme des vêtements joue un rôle essentiel : après une première tentative ratée, India Stoker / Wasikowska, remplace enfin ses espèces de baskets d'homme, son cadeau d'anniversaire récurrent dont le spectacle rythme tout le film (!) (et ses robes informes) par des vêtements de femme et des chaussures à talon. Et elle sourit enfin. Et la scène de la douche, un peu en amont, n'est pas un temps gênant de nudité et de masturbation gratuite, mais peut-être un temps clé de ce passage à l'âge de femme.
Park Chan-Wook en fait a su réduire le scénario imposé à l'essentiel, supprimé toutes les scories (l'histoire de l'enfant, frère ou cousin ou neveu, que l'on arrive à peine à comprendre, et même l'assassinat du père). Il a su le magnifier par une forme parfaite, entre les plans eux-mêmes, le dynamisme et la fluidité de leurs enchaînements
. On n'en retiendra qu'un pour conclure, le plus beau à mon sens :
- la fille peigne longuement les cheveux de sa mère (Nicole Kidman à son avantage dans un rôle réduit mais essentiel); la caméra se rapproche pour un plan totalement abstrait et sans transition visible - les cheveux deviennent prairie lorsque le champ s'élargit à nouveau.
C'est beau comme une toile d'Hans Hartung.