Alors que pendant des années, le cinéma de HK se « contentait » de régner sur une bonne partie de l'Asie et dans les communautés Chinoises implantées à l'étranger, le succès mondial de Bruce Lee change la donne. Les producteurs locaux se mettent à fantasmer leurs studios comme des équivalents des grosses majors US qui controlent le box office mondial. En pointe de ce mouvement, on trouve Raymond Chow et sa Golden Harvest. Même si la compagnie se concentrera sur le marché Asiatique, elle n'aura de cesse de monter des projets à vocation internationale. Malheureusement, la Golden Harvest a perdu son meilleur atout dans ce domaine en la personne de Bruce Lee. Cela ne freinera pourtant pas les ardeurs du studio. Au contraire, la Golden examinera attentivement les ingrédients du seul film ayant fait ses preuves dans ce domaine, Enter the Dragon, afin de dupliquer la formule. C'est sur cette base qu'est produit cet improbable Stoner.
Une des leçons retenues de la production d'Enter the Dragon, c'est la nécessité d'une distribution hétérogène. Autrement dit, avoir autant de héros que de publics visés (libres à eux après de s'y identifier ou non). Stoner donne donc les premiers rôles à un occidental et à une Chinoise.
En premier lieu, nous avons George Lazenby dans le rôle titre de Stoner. La présence de l'acteur australien dans cette production Hong Kongaise n'est pas vraiment surprenante. Dès 1973, il avait été approché par Bruce pour participer à son Game of Death. La mort de ce dernier ne permettra pas de concrétiser ce projet (mais ce ne sera que partie remise...). La Golden Harvest ayant l'acteur sous la main lui proposera Stoner à la place. Car, outre sa disponibilité, Lazenby est un bon poulain pour le studio. Célèbre grâce à sa participation à un unique James Bond (souvent considéré comme un des meilleurs), il n'est pas non plus une super star qui obligerait la compagnie à lui payer un cachet démesuré. Peu cher, acteur correct et connu : Lazenby a le profil idéal pour un projet de cette nature. Son personnage est une sorte de croisement entre James Bond (il tombe les femmes comme des mouches) et les flics durs à cuire à la mode dans les années 70. Hélas, l'acteur Australien ne parvient à le crédibiliser sur aucune de ces deux facettes. Il avait pourtant interprété un James Bond convaincant dans Au Service Secret de sa Majesté mais semble ici n'être que l'ombre du personnage. Sa moustache digne d'un Village People ne l'aide, il est vrai, pas beaucoup à dégager le puissant charisme nécessaire à Stoner. Quant au côté « hard boiled » qui nous est montré en début de métrage, il manque de jusqu'au boutisme.
Sans Bruce Lee a disposition, qui la Golden Harvest pouvait-elle mettre comme co-star Chinoise aux cotés de Lazenby ? Angela Mao, en tant que « sœur spirituelle » du petit dragon, est un autre choix logique. Star en Asie, un peu connue en Occident grâce à son petit rôle dans Enter the Dragon, elle apporte surtout la virtuosité martiale dont Lazenby est dépourvu. Son personnage demeure cependant bien en retrait par rapport à celui de l'acteur Australien, sans grande personnalité pour qu'on s'attache vraiment à elle.
Le reste de la distribution va dans le même sens Internationaliste puisqu'on trouve en méchant le Japonais Joji Takagi (ça ne fera pas de mal pour vendre le film là-bas) et Betty Ting Pei (la célèbre ancienne maîtresse de Bruce).
Pour lier ce melting pot de nationalités, le pilier de la Golden Harvest, Wong Fung, applique là aussi la formule héritée d'Enter the Dragon avec un scénario pseudo James Bondesque (on en sortira jamais !). On remarquera d'ailleurs la reprise de certains éléments d'Au Service Secret de Sa Majesté avec cette drogue à destination de jeunes femmes innocentes. Mais si le film de Peter Hunt avait ce coté mégalomane (la drogue n'est qu'un outil pour l'assouvissement d'un plan de domination mondial) nécessaire à cet univers, le film de Wong Fung est franchement à coté de la plaque. Le méchant n'est qu'un vulgaire trafiquant qui n'a que le vernis des adversaires Bondiens (un QG avec carte du monde remplie de loupiottes, un bureau tournant dont on se demande toujours l'intérêt...). Quant à la drogue, elle n'est qu'un vulgaire aphrodisiaque qu'on croirait échappé de certains mauvais films pornos. Avec de tels enjeux, on ne s'étonnera pas que l'enquête de Stoner et de sa collègue Chinoise ne passionne à aucun moment.
Pour s'occuper de l'action, Wong Fung dispose de son chorégraphe attitré, Sammo Hung. Leurs précédentes collaborations (d'Hapkido à The Tournament) avaient donné des combats de très grande qualité. Mais pour Stoner, il doit composer avec le grand (par la taille !) George Lazenby. Le style des combats se trouve être une sorte de compromis entre l'approche Hong Kongaise (chorégraphies longues avec des enchaînements complexes) et celle Occidentale (Lazenby distribue les bourres pifs avec un style de Cow Boy de Western). Pris comme tels, les affrontements se révèlent corrects, Lazenby fait de son mieux malgré une inévitable lenteur/maladresse par rapport à ses adversaires cascadeurs. Evidemment, les amateurs de pures chorégraphies Kung Fu n'y trouveront absolument pas leurs comptes. Ce n'est que quand Angela Mao entre en action que les chorégraphies peuvent monter d'un cran en qualité. La belle Taiwanaise distribue les coups de pieds avec aisance jusqu'à un final bien agressif face à l'incontournable Wang In Sik. Certainement le meilleur moment du film martialement parlant.
Film médiocre, Stoner montre bien les limites du cinéma Hong Kongais quand il cherche à sortir de son domaine de prédilection. Perdant ses qualités de rythme et d'intensité, il ne parvient pas à s'approprier celles des productions occidentales et aboutit à un échec à tous les niveaux. Une analyse qui reste en grande partie d'actualité de nos jours...