Une jeune femme vêtue de rouge, courant au ralenti vers l'objectif de la caméra, une forêt inquiétante derrière elle et Love Hurts de Z Berg en fond sonore. Cette image précise (qui ouvre d'ailleurs le long-métrage), c'est également celle qui est venue s'emparer de l'esprit de J.T. Mollner à l'issue d'un rêve. Une scène tellement obsédante que cela l'a poussé à imaginer le fil des événements ayant conduit cette femme dans cette situation, lui fournissant la matière première de son film. Un processus créatif qui, ironiquement, s'applique également au ressenti du spectateur devant ce Strange Darling, présenté comme une journée dans la vie amoureuse d'un tueur en série découpée en six chapitres.
Car si on s'interroge initialement sur l'utilité du chapitrage d'une histoire à priori on ne peut plus conventionnelle (un psychopathe poursuivant sa proie), sans parler du déroulé non-chronologique (le film commençant par le chapitre 3), au point de redouter le film de petit malin cherchant à camoufler sa vacuité par des effets de manche grossiers, ce choix de montage s'avère rapidement être un petit coup de génie, transformant un canevas classique en un thriller diaboliquement retors et imprévisible. Chaque changement de chapitre est ainsi une nouvelle occasion pour le réalisateur de retourner comme une crêpe toutes les certitudes que nous pensions acquises. Une ambiguïté bien servie par les deux acteurs principaux (Kyle Gallner en prédateur sadique et inquiétant, Willa Fitzgerald en victime peut-être moins facile à cerner qu'au premier abord), ainsi que par la photographie de Giovanni Ribisi, dont l'accentuation des couleurs procure un côté légèrement fantaisiste, voire franchement décalé lors des ruptures de ton cartoonesques que le film s'autorise à de nombreuses reprises (dont une scène gastronomique dans un chalet ayant visiblement déjà acquis le titre de petit-déjeuner le plus gerbant de l'année).
L'exemple même de l'exercice de style jouissif, intelligemment poussé dans ses retranchements.