Il est suffisamment rare de pouvoir voir des courts ou des moyens métrages au cinéma pour ne pas manquer ce que la distribution a nommé "l’expérience Almodóvar" , c’est-à-dire un double programme constitué du moyen- (ou court-, suivant les points de vue) -métrage Extraña forma de vida (Strange Way of Life) de 31 minutes présenté à Cannes cette année, et de la voix humaine (même format), datant de 2020 et montré au Festival de Venise. A noter que, suivant les cinémas, ou peut-être même suivant les séances, l’ordre de diffusion des deux films semble varier…
On se souvient du buzz généré sur la Croisette par le western gay d’Almodóvar, buzz qui explique cette exceptionnelle sortie en salles : la lucidité nous force à reconnaître que c’est moins la réputation – faiblissante – de l’ex-génie du cinéma ibère que la popularité désormais globale de Pedro Pascal après le triomphe de The Last of Us qui a attiré l’attention générale sur Strange Way of Life ! Mais inutile de s’offusquer de ce genre de phénomène, l’important est de pouvoir profiter de ces deux films inédits, dans les bonnes conditions d’une grande salle !
Financé par la nouvelle maison de production de la marque Saint-Laurent, Strange Way of Life est un western « gay » : à la différence de la référence obligatoire dans le genre, Brokeback Mountain, la relation d’amour homosexuelle entre les deux personnages « principaux » n’est pas réellement vécue comme une transgression, mais bien comme un élément « normal » dans ce qui est fondamentalement un western classique : un shérif doit arrêter le fils de son meilleur / ancien ami, soupçonné d’avoir tué sa maîtresse. Et voici nos deux protagonistes coincés à l’intérieur d’un triangle à l’équation insoluble, entre devoir professionnel, amour paternel et amour tout court…
Il y a un indiscutable problème de durée avec ce Strange Way of Life : étant donné qu’Almodóvar s’est senti obligé de nourrir le début de son intrigue de longs dialogues explicatifs entre ses deux deux protagonistes, on sent bien que le film aurait bénéficié d’un bon quart d’heure additionnel, voire plus encore : on ne peut qu’imaginer combien Strange Way of Life aurait potentiellement été meilleur s’il avait pu prendre son temps pour nous raconter une histoire finalement assez complexe.
On sent aussi qu’Almodóvar n’est pas très à l’aise dans le « genre » du western, et qu’il a tendance à se référer aux codes du western spaghetti, sans prendre de risques. Le pire dans ces trente minutes est le flashback au Mexique, où Almodóvar se laisse aller à son penchant pour le mauvais goût, tandis que le meilleur, justifiant en fait le visionnage de ce film qui est loin d’être convaincant, est la force émotionnelle de l’interprétation de Pedro Pascal, littéralement brûlant d’amour, de passion. Indiscutablement, un très grand acteur !
Inspiré librement d’une pièce de Cocteau, la voix humaine est en fait bien supérieur à Strange Way of Life. Le sujet est fort : une femme délaissée par son amant ou sa maîtresse (on ne sait pas vraiment, la langue anglaise autorisant le doute du genre) sombre dans une sorte de folie, qui peut conduire au pire. Oui, le pire est certain, mais « quel pire » ? Le spectateur ne peut pas le deviner, et une sorte de suspense allant en crescendo naît peu à peu du monologue de la protagoniste solitaire. La mise en scène d’Almodóvar est cette fois brillante (il est clairement dans son élément), les décors – littéralement – sont magnifiquement utilisés, et Tilda Swinton est une fois de plus l’actrice gigantesque que l’on n’arrête pas d’admirer, dans chacun de ses films. Même le chien – seul vrai personnage secondaire du film – est convaincant. On n’est pas loin du mini-chef d’œuvre, en fait.
Mieux vaut donc assister à une séance où la voix humaine est diffusé en seconde partie, cela permet de sortir du cinéma parfaitement satisfait par la courte heure qu’on a passé avec Almodóvar !
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2023/08/20/lexperience-almodovar-deux-films-courts-de-pedro-almodovar/